Citationfrançaise de Michel Eyquem de Montaigne « La vraie science est une ignorance qui se sait. » La Rochefoucauld 1680 à 67 ans Voltaire 1778 à 84 ans Nietzsche 1900 à 56 ans Joseph Joubert 1824 à 70 ans Balzac 1850 à 51 ans Shakespeare 1616 à 52 ans Oscar Wilde 1900 à 46 ans Alain 1951 à 83 ans Cioran 1995 à 84 ans Sacha Guitry 1957 à 72
Cet article a Ă©tĂ© publiĂ© pour la premiĂšre fois dans le magazine National Geographic. Le bureau dâEugenio Alliata Ă JĂ©rusalem Ă©voque nâimporte quelle officine dâarchĂ©ologue qui prĂ©fĂšre le travail de terrain. Sur les Ă©tagĂšres surchargĂ©es, des relevĂ©s de fouilles cĂŽtoient des mĂštres rubans et dâautres outils. Rien de bien diffĂ©rent des bureaux de tous les archĂ©ologues que jâai pu rencontrer au Moyen-Orient, Ă deux dĂ©tails prĂšs Alliata porte lâhabit couleur chocolat des franciscains, et son quartier gĂ©nĂ©ral se trouve dans le monastĂšre de la Flagellation. Selon la tradition de lâĂglise, le monastĂšre fut bĂąti Ă lâendroit mĂȘme oĂč JĂ©sus-Christ, condamnĂ© Ă mort, fut flagellĂ© par les soldats romains et couronnĂ© dâĂ©pines. La tradition» voilĂ un mot que lâon entend beaucoup dans cette partie du monde. Ici, des multitudes de touristes et de pĂšlerins sont attirĂ©s par les dizaines de sites qui, tradition oblige, sont considĂ©rĂ©s comme des Ă©tapes de la vie du Christ, de son lieu de naissance, Ă BethlĂ©em, Ă celui de sa mort, Ă JĂ©rusalem. Selon lâĂvangile de Jean, JĂ©sus guĂ©rit un paralytique dans la piscine de Bethesda, Ă JĂ©rusalem, un bassin Ă cinq portiques rĂ©servĂ© aux bains rituels. Beaucoup de spĂ©cialistes doutaient de la rĂ©alitĂ© du lieu, jusquâau jour oĂč des archĂ©ologues en ont dĂ©couvert des preuves Ă©videntes, dissimulĂ©es sous les ruines de ces Ă©glises vieilles de plusieurs devenue journaliste que je suis le sait des cultures entiĂšres sont nĂ©es et mortes presque sans laisser de traces. Aussi, fouiller dâantiques paysages en quĂȘte de tessons de poterie qui Ă©claireraient la vie dâun seul personnage semble aussi vain que la chasse aux fantĂŽmes. Au monastĂšre de la Flagellation, le frĂšre Alliata accueille chacune de mes visites et de mes questions avec patience et perplexitĂ©. Professeur dâarchĂ©ologie chrĂ©tienne et directeur du Studium Biblicum Franciscanum, il participe Ă un projet franciscain vieux de sept siĂšcles, consistant Ă entretenir et Ă protĂ©ger les anciens sites religieux de Terre sainte â et, depuis le 19e siĂšcle, Ă en dresser des relevĂ©s scientifiques. Le frĂšre Alliata ne semble pas prĂ©occupĂ© par ce que lâarchĂ©ologie peut, ou ne peut pas, rĂ©vĂ©ler sur la figure centrale du christianisme Il serait trĂšs Ă©tonnant, voire Ă©trange, de trouver des preuves archĂ©ologiques de lâexistence de quelquâun qui aurait vĂ©cu il y a 2000 ans. Cela dit, on ne peut pas nier que JĂ©sus a laissĂ© une trace dans lâhistoire. » Une IndonĂ©sienne, qui vient dâĂȘtre baptisĂ©e dans le Jourdain, porte une robe reprĂ©sentant JĂ©sus Ă lâissue du mĂȘme rite, voilĂ 2 000 ans. La foi chrĂ©tienne, nĂ©e dans une petite communautĂ© juive, est devenue la religion la plus pratiquĂ©e du monde, avec plus de 2 milliards de DE Simon Norfolk, Avec Lâaimable Autorisation De YARDENITLes textes du Nouveau Testament sont, de loin, les traces les plus Ă©videntes et sans doute les plus controversĂ©es de son passage sur terre. Mais quel rapport existe-t-il entre le travail des archĂ©ologues et ces textes anciens, rĂ©digĂ©s dans la seconde moitiĂ© du ier siĂšcle de notre Ăšre, ainsi quâavec les traditions quâils ont nourries ? La tradition vivifie lâarchĂ©ologie, et lâarchĂ©ologie vivifie la tradition, rĂ©pond le frĂšre Alliata. Parfois, elles concordent et, parfois, non. » Et il ajoute dans un sourire Ce nâest pas le moins intĂ©ressant. » ThĂ©ophile III, patriarche grec orthodoxe de JĂ©rusalem et de toute la Palestine, porte un encolpion mĂ©daillon serti de pierres prĂ©cieuses tĂ©moignant de sa foi. Je me suis lancĂ©e sur les pas de JĂ©sus afin de retracer son histoire telle que la racontent les auteurs des Ăvangiles et des gĂ©nĂ©rations dâĂ©rudits. JâespĂšre comprendre en quoi les textes chrĂ©tiens et les traditions correspondent aux dĂ©couvertes des archĂ©ologues, depuis un siĂšcle et demi que ceux-ci passent la Terre sainte au peigne fin. Mais, avant tout, une question explosive est-il possible que JĂ©sus-Christ nâait jamais existĂ© ? Quelques sceptiques dĂ©fendent cette opinion avec vĂ©hĂ©mence, mais pas les savants, notamment les archĂ©ologues. Je ne connais aucun chercheur important qui doute du personnage historique de JĂ©sus, affirme Eric Meyers, archĂ©ologue et professeur Ă©mĂ©rite Ă lâuniversitĂ© Duke. On pinaille sur des dĂ©tails depuis des siĂšcles, mais nulle personne sĂ©rieuse ne met en doute son existence. » Les chrĂ©tiens palestiniens dĂ©filent dans les rues de BethlĂ©em Ă NoĂ«l, cĂ©lĂ©brĂ© par diffĂ©rentes confessions Ă diffĂ©rentes dates catholiques et protestants le fĂȘtent le 25 dĂ©cembre, les chrĂ©tiens orthodoxes le 7 janvier et les chrĂ©tiens ArmĂ©niens le 6 janvier ou en Terre Sainte le 18 son de cloche auprĂšs de Byron McCane, archĂ©ologue et professeur dâhistoire Je ne vois aucun autre personnage dont on nie lâexistence alors quâelle est si parfaitement Ă©tablie par les faits. » MĂȘme John Dominic Crossan, un ex-prĂȘtre qui coprĂ©side le Jesus Seminar, un groupe de travail de spĂ©cialistes des Ă©tudes bibliques plutĂŽt controversĂ©, estime que les sceptiques purs et durs vont trop loin. Certes, les miracles attribuĂ©s au Christ sont difficiles Ă apprĂ©hender pour nos esprits modernes. Ce nâest pas une raison pour conclure que la vie de JĂ©sus de Nazareth relĂšve de la fable. On peut toujours dire quâil marchait sur lâeau et que, comme personne nâen est capable, câest la preuve quâil nâa pas existĂ©, me dit Crossan. Mais il sâagit dâautre chose. Quâil ait accompli certaines choses en GalilĂ©e, et dâautres Ă JĂ©rusalem, et quâil ait Ă©tĂ© condamnĂ© Ă mort pour ses actes, tout cela cadre parfaitement avec un certain scĂ©nario. » Les ruines de lâHĂ©rodion, lâune des forteresses Ă©levĂ©es par HĂ©rode le Grand sur une hauteur, tĂ©moignent du pouvoir Ă©crasant de lâEmpire romain. Des chercheurs voient en JĂ©sus un rĂ©volutionnaire dont la vĂ©ritable mission Ă©tait de changer le rĂ©gime politique en place, et non de sauver les DE Simon Norfolk, PANORAMA COMPOSĂ DE 7 IMAGESLes chercheurs qui Ă©tudient la vie du Christ se divisent en deux Ă©coles il y a ceux pour qui le JĂ©sus des Ăvangiles, auteur de miracles, est le vĂ©ritable JĂ©sus, et il y a ceux pour qui le vĂ©ritable JĂ©sus câest-Ă -dire lâhomme qui a suscitĂ© le mythe est, certes, lâinspirateur des Ăvangiles, mais aussi un personnage dont la vĂ©ritĂ© apparaĂźtra grĂące aux recherches historiques et Ă lâanalyse des textes. Les deux camps considĂšrent lâarchĂ©ologie comme leur quâil soit ou ait Ă©tĂ© Dieu, un homme ou la plus grande supercherie littĂ©raire de tous les temps, la diversitĂ© et la dĂ©votion de ses disciples modernes Ă©clatent dans toute leur splendeur quand on arrive Ă BethlĂ©em, lâantique citĂ© que lâon considĂšre comme son lieu de naissance. Sur la place Manger, je me joins Ă un groupe de pĂšlerins du Nigeria que je suis jusquâĂ lâentrĂ©e, plutĂŽt basse, de la basilique de la NativitĂ©, dont les hauts murs disparaissent sous des bĂąches et des Ă©chafaudages. La basilique est en cours de restauration. Des conservateurs nettoient les mosaĂŻques dorĂ©es du 12e siĂšcle de la suie des bougies qui ont brĂ»lĂ© ici depuis tout ce temps. Nous contournons avec prĂ©caution une partie du sol qui rĂ©vĂšle les plus anciens vestiges de lâĂ©glise, construite dans les annĂ©es 330 sur ordre du premier empereur romain chrĂ©tien, Constantin. Cette synagogue des 2e - 5e siĂšcles, Ă CapharnaĂŒm, a Ă©tĂ© en partie restaurĂ©e. Ses colonnes se dressent sur un Ă©difice plus ancien oĂč, Ă en croire certains historiens, JĂ©sus se serait rendu. Non loin de lĂ , les archĂ©ologues ont dĂ©couvert une habitation vĂ©nĂ©rĂ©e par les premiers chrĂ©tiens. Il pourrait sâagir du domicile de lâapĂŽtre marches nous conduisent dans une grotte Ă©clairĂ©e Ă lâĂ©lectricitĂ©, devant une petite niche creusĂ©e dans le marbre. En ce lieu, une Ă©toile dâargent signale lâendroit mĂȘme oĂč, selon la tradition, est nĂ© JĂ©sus-Christ. Les pĂšlerins sâagenouillent pour baiser lâĂ©toile et toucher de leur paume la pierre froide et polie. BientĂŽt, un responsable les presse dâavancer pour laisser la place Ă de nouveaux arrivants. La basilique de la NativitĂ© est la plus vieille Ă©glise chrĂ©tienne encore en activitĂ©. Mais tout le monde ne sâaccorde pas pour dire que JĂ©sus de Nazareth est nĂ© Ă BethlĂ©em. Seuls deux Ăvangiles mentionnent sa naissance, et leurs rĂ©cits en sont fort diffĂ©rents. Des historiens soupçonnent les Ă©vangĂ©listes dâavoir fait naĂźtre JĂ©sus Ă BethlĂ©em pour Ă©tablir un lien entre lui, paysan de GalilĂ©e, et une ville de JudĂ©e dont lâAncien Testament annonçait quâelle serait le berceau du Messie LâarchĂ©ologie est fort peu loquace Ă ce sujet. Quelle chance a-t-on de dĂ©terrer une quelconque preuve quâun couple de paysans vivant il y a deux millĂ©naires aurait Ă©tĂ© lâacteur dâun tel Ă©vĂ©nement? Les fouilles dans la basilique et alentour nâont rĂ©vĂ©lĂ© ni objet de lâĂ©poque, ni indice suggĂ©rant que le site Ă©tait sacrĂ© pour les premiers chrĂ©tiens. Le premier tĂ©moignage incontestable de vĂ©nĂ©ration remonte au 3e siĂšcle. OrigĂšne, un thĂ©ologien dâAlexandrie, observa Ă BethlĂ©em, on peut voir la grotte oĂč [JĂ©sus] est nĂ©. » Au dĂ©but du 4e siĂšcle, lâempereur Constantin envoya une dĂ©lĂ©gation en Terre sainte afin dâidentifier les lieux associĂ©s Ă la vie du Christ et de les sanctifier par la construction dâĂ©glises et de sanctuaires. Ayant localisĂ© ce quâils considĂ©raient ĂȘtre la grotte de la NativitĂ©, les dĂ©lĂ©guĂ©s y firent bĂątir une Ă©glise, ancĂȘtre de celle dâaujourdâhui. "Suivez-moi, et je vous ferai pĂȘcheurs d'hommes", a dĂ©clarĂ© JĂ©sus Ă ses premiers disciples, des pĂȘcheurs dont la vie Ă©tait centrĂ©e sur la mer de GalilĂ©e. Ici, selon les Ăvangiles, JĂ©sus a miraculeusement calmĂ© une tempĂȘte, a marchĂ© sur l'eau et l'a bĂ©ni ses disciples avec des cargaisons de des chercheurs auxquels je me suis adressĂ©e ne se prononcent pas sur le lieu de naissance du Christ, faute de preuves matĂ©rielles. Selon eux, le vieil adage de lâarchĂ©ologie est plus que jamais dâactualitĂ© Lâabsence de preuve nâest pas la preuve de lâabsence. » La piste pour retrouver le vĂ©ritable JĂ©sus est bien plus fructueuse Ă 105 km de lĂ , en GalilĂ©e, rĂ©gion vallon nĂ©e du nord dâIsraĂ«l. JĂ©sus fut Ă©levĂ© Ă Nazareth, une bourgade agricole. Les historiens qui voient en lui seulement un homme que ce soit un rĂ©formateur religieux, un rĂ©volutionnaire social, un prophĂšte de lâApocalypse, voire un Juif fanatique tentent, en juxtaposant les donnĂ©es Ă©conomiques, politiques et sociales de la GalilĂ©e du 1er siĂšcle, de mieux comprendre quelles forces furent le terreau de cet homme et de sa mission. Ă cette Ă©poque, lâEmpire romain est, de loin, lâacteur principal de la vie en GalilĂ©e. Les Romains avaient conquis la Palestine soixante ans avant la naissance de JĂ©sus, et presque tous les Juifs devaient subir le joug de Rome, symbolisĂ© par la lourdeur des taxes et lâadoration des idoles paĂŻennes. Selon beaucoup de chercheurs, les troubles sociaux profitĂšrent Ă lâagitateur juif, qui se fit connaĂźtre en dĂ©nonçant riches et puissants, et prenant le parti des pauvres et des laissĂ©s-pour-compte. Mis au jour dans ce qui fut une synagogue de Magdala, la ville de Marie Madeleine, ce bloc sculptĂ© fi gurerait le Temple de JĂ©rusalem. PhotographiĂ© ici dans les rĂ©serves de lâAutoritĂ© des antiquitĂ©s dâIsraĂ«l, il pourrait avoir servi de table de lecture de la TorahDâautres avancent que lâinfluence de la culture grĂ©co-romaine a façonnĂ© un JĂ©sus moins juif et plus cosmopolite, hĂ©raut de la justice sociale. En 1991, un ouvrage fit sensation The Historical Jesus, de John Dominic Crossan. Sa thĂ©orie le vĂ©ritable JĂ©sus Ă©tait une sorte de sage itinĂ©rant, dont les paroles subversives et le style de vie, Ă contre-courant des mĆurs de son Ă©poque, rĂ©sonnaient Ă©trangement avec la façon de vivre des cyniques. Ces derniers, dâune Ă©cole philosophique de la GrĂšce antique, nâĂ©taient pas cyniques au sens moderne du mot, mais ne respectaient aucune convention sociale, comme le souci de rester propre, ou la quĂȘte de la richesse et du pouvoir. Crossan se fondait, dâune part, sur les dĂ©couvertes archĂ©ologiques rĂ©vĂ©lant que la GalilĂ©e, longtemps dĂ©crite comme une campagne reculĂ©e et une enclave juive isolĂ©e, Ă©tait bien plus urbanisĂ©e et romanisĂ©e Ă lâĂ©poque de JĂ©sus que les spĂ©cialistes ne le croyaient, et, dâautre part, sur le fait que le domicile de JĂ©sus enfant se trouvait Ă 5 km de Sepphoris, la capitale romaine de la province. Les Ăvangiles ne mentionnent pas la ville, mais lâambitieux programme de construction lancĂ© par le tĂ©trarque HĂ©rode Antipas aurait pu attirer des artisans qualifiĂ©s des villages alentour. Pour beaucoup, on peut tout Ă fait penser que JĂ©sus, jeune artisan vivant prĂšs de Sepphoris, aurait pu y travailler, mettant la tradition religieuse qui Ă©tait la sienne Ă lâĂ©preuve de la vie. Ă la PĂąque juive, des Samaritains se rendent sur le mont Garizim qui, selon eux, abrite le vĂ©ritable site du temple de Dieu et non JĂ©rusalem. Ă lâĂ©poque de JĂ©sus, les Juifs considĂ©raient les Samaritains comme impies. JĂ©sus illustre pourtant lâamour du prochain dans la parabole du bon Samaritain ».Par une belle journĂ©e de printemps, je retrouve les archĂ©ologues Eric et Carol Meyers dans les ruines de Sepphoris. Le couple fouille lâimmense site depuis trente-trois ans. Celui-ci est dĂ©sormais au cĆur dâun dĂ©bat passionnĂ© et thĂ©orique sur la judaĂŻtĂ© de la GalilĂ©e et, par extension, de JĂ©sus. Eric Meyers sâarrĂȘte devant un tas de colonnes. Ăa a Ă©tĂ© drĂŽlement houleux », dit-il au souvenir des dĂ©bats pour savoir dans quelle mesure une ville hellĂ©nisĂ©e avait pu influencer un jeune paysan juif. Au faĂźte de la colline, il dĂ©signe des murs dĂ©gagĂ©s avec soin. Pour parvenir Ă ces maisons, nous avons dĂ» creuser Ă lâemplacement dâun bivouac de la guerre de 1948, avec notamment un obus syrien non explosĂ©. Et, sous la terre, nous sommes tombĂ©s sur les mikvaot ! » Au moins trente de ces bains juifs rituels parsĂšment le quartier rĂ©sidentiel de Sepphoris âsoit la plus grande concentration de lieux privĂ©s jamais mise au jour par les archĂ©ologues. Outre de la vaisselle en pierre pour les rituels et lâabsence dâos de porc interdit de consommation par la loi juive, elles prouvent que cette citĂ© dâune province de la Rome impĂ©riale Ă©tait demeurĂ©e juive au temps de lâadolescence de JĂ©sus. Ces dĂ©couvertes et dâautres indices issus de fouilles dans toute la GalilĂ©e ont conduit les chercheurs Ă rĂ©viser leur opinion, mâexplique Craig Evans, spĂ©cialiste des origines du christianisme GrĂące Ă lâarchĂ©ologie, on est passĂ© de JĂ©sus lâhellĂ©nisant cosmopolite Ă JĂ©sus le Juif pratiquant âun changement considĂ©rable. » La chapelle copte de lâĂ©glise du Saint SĂ©pulcre sâorne de scĂšnes de la vie du Christ. Plusieurs religions chrĂ©tiennes partagent le sanctuaire, non sans mĂ©fiance, chacune rĂ©clamant une partie de lâespace. Les clefs de lâĂ©glise ont Ă©tĂ© confiĂ©es Ă une famille musulmane de la 30 ans, JĂ©sus sâimmergea dans le Jourdain avec Jean le Baptiste, lâagitateur et prophĂšte juif. Sa vie en fut bouleversĂ©e car, une fois baptisĂ©, Ă en croire le Nouveau Testament, il vit lâEsprit de Dieu descendre sur lui comme une colombe», et la voix de Dieu se fit entendre Celui-ci est mon Fils bien-aimĂ©, en qui jâai mis tout mon amour.» Cette rencontre avec le Seigneur marqua le dĂ©but de sa vie de prĂȘcheur et de guĂ©risseur. CapharnaĂŒm fut lâune de ses premiĂšres Ă©tapes. Cette ville de pĂȘcheurs se situe sur la rive nordouest du lac de TibĂ©riade. Câest lĂ que JĂ©sus rencontra ses disciples initiaux et quâil Ă©tablit son premier quartier gĂ©nĂ©ral ». De nos jours, les organisateurs dâexcursions en Terre sainte dĂ©signent le lieu de pĂšlerinage quâest devenu CapharnaĂŒm comme la ville de JĂ©sus ». Une haute barriĂšre mĂ©tallique entoure les lieux, propriĂ©tĂ© des franciscains. DerriĂšre se trouve une Ă©glise moderne, soutenue par huit piliers le MĂ©morial de Saint-Pierre, consacrĂ© en 1990 en lâhonneur dâune des plus importantes dĂ©couvertes rĂ©alisĂ©es au 20e siĂšcle par les archĂ©ologues travaillant sur le JĂ©sus historique. JĂ©sus pria dans le jardin de GethsĂ©mani mot sans doute ÂaramĂ©en signifiant pressoir Ă huile » quelques heures avant son arrestation, selon les Ăvangiles. De nos jours, nombreux sont les pĂšlerins Ă visiter cette oliveraie, situĂ©e Ă lâextĂ©rieur de JĂ©rusalem, oĂč JĂ©sus connut la plus sombre nuit de son centre de lâĂ©difice attire tous les regards. Au-delĂ dâun garde-fou, Ă travers un sol vitrĂ©, les visiteurs peuvent apercevoir les ruines dâune Ă©glise octogonale, bĂątie il y a 1 500 ans. Quand les archĂ©ologues franciscains ont fouillĂ© sous cette structure, en 1968, ils se sont rendu compte quâelle avait Ă©tĂ© bĂątie sur les ruines dâune maison datant du ier siĂšcle. CâĂ©tait la preuve que, en un court laps de temps, ce domicile privĂ© avait Ă©tĂ© transformĂ© en un lieu de rĂ©union public. Puis, vers la seconde moitiĂ© du 1er siĂšcle, quelques dĂ©cennies aprĂšs la crucifixion de JĂ©sus, les murs de pierre brute de ce domicile furent enduits de plĂątre, et tous les ustensiles de cuisine remplacĂ©s par des lampes Ă huile â objets caractĂ©ristiques dâune communautĂ© prenant ses quartiers. Enfin, au 4e siĂšcle, Ă lâĂ©poque oĂč le christianisme devint la religion officielle de lâEmpire romain, la demeure fut transformĂ©e en une maison de culte soigneusement dĂ©corĂ©e. Depuis, elle est connue comme la maison de Pierre ». Il est impossible dâĂ©tablir si le disciple y vĂ©cut effectivement, mais beaucoup de spĂ©cialistes estiment que ce nâest pas impossible. Il est dit dans les Ăvangiles que JĂ©sus guĂ©rit de la fiĂšvre la belle-mĂšre de Pierre, chez elle, Ă CapharnaĂŒm. La nouvelle se rĂ©pandit aussitĂŽt et, le soir, une foule de malades se pressait devant sa porte. JĂ©sus guĂ©rit les malades et dĂ©livra ceux qui Ă©taient possĂ©dĂ©s par des dĂ©mons. Lâos du talon dâun crucifiĂ© photo a Ă©tĂ© retrouvĂ© dans une tombe. Cela confirme que les crucifiĂ©s pouvaient ĂȘtre inhumĂ©s et que JĂ©sus aurait pu lâĂȘtre. Les Romains crucifiaient de plusieurs rĂ©cits mettant en scĂšne des foules venant chercher la guĂ©rison auprĂšs de JĂ©sus confortent ce que lâarchĂ©ologie nous dit de la Palestine du ier siĂšcle, une rĂ©gion oĂč des maladies telles que la lĂšpre ou la tuberculose Ă©taient monnaie courante. Je prends la direction du Sud, longeant le lac de TibĂ©riade, jusquâĂ un kibboutz ferme communautaire qui, en 1986, fut le théùtre dâun Ă©vĂ©nement sensationnel. Le niveau du lac avait considĂ©rablement baissĂ© Ă cause dâune grave sĂ©cheresse. Deux frĂšres du kibboutz ont remarquĂ© une forme qui ressemblait aux contours dâun bateau. Les archĂ©ologues qui lâont examinĂ©e ont trouvĂ© des objets datant de lâĂ©poque romaine dans et prĂšs de la coque. Plus tard, le test au carbone 14 a confirmĂ© lâĂąge du bateau il Ă©tait plus ou moins contemporain de JĂ©sus. Un ossuaire ornĂ©, ou boĂźte Ă os, dĂ©couvert dans une tombe de JĂ©rusalem porte le nom de CaĂŻphe, une figure tristement cĂ©lĂšbre dans les rĂ©cits des Ăvangiles sur le procĂšs et lâexĂ©cution de JĂ©sus. S'il s'agit de CaĂŻphe, la dĂ©couverte confirmerait que les personnes qui jouaient un rĂŽle dans les histoires du Nouveau Testament Ă©taient rĂ©elles et non fictives », note l'archĂ©ologue Eric DE Simon Norfolk, Photo PRISE AU MUSĂE ISRAEL, Ă JERUSALEMPuis, il sâest mis Ă pleuvoir. Le niveau du lac a remontĂ©. LâopĂ©ration de sauvetage du bateau qui sâest dĂ©roulĂ©e alors constitue un exploit archĂ©ologique. Un chantier qui, en temps normal, aurait durĂ© des mois pour ĂȘtre planifiĂ© et exĂ©cutĂ©, a pris exactement onze jours. Aujourdâhui, le prĂ©cieux bateau est le joyau du musĂ©e du kibboutz situĂ© non loin de lâendroit oĂč il a Ă©tĂ© dĂ©couvert. Large dâenviron 2 m pour 8 m de long, il aurait pu embarquer treize hommes bien que rien nâindique que JĂ©sus et ses douze apĂŽtres lâaient utilisĂ©. Il ne paie pas de mine un squelette de planches qui eurent leur compte de rĂ©parations, jusquâĂ ce que plus rien ou presque ne subsiste de lâoriginal. Il a dĂ» ĂȘtre entretenu et rĂ©parĂ© jusquâĂ ce que cela ne serve plus Ă rien», constate John Dominic Crossan. Mais, aux yeux des historiens, ce bateau nâa pas de prix, souligne-t-il Quand je considĂšre les efforts quâil a fallu dĂ©ployer pour le maintenir Ă flot, jâen apprends beaucoup sur le niveau de vie des pĂȘcheurs galilĂ©ens Ă lâĂ©poque de JĂ©sus. » Des foules de pĂšlerins originaires de divers pays convergent vers JĂ©rusalem Ă PĂąques - un mĂ©lange potentiellement instable et une cible tentante pour les terroristes. Pour assurer la sĂ©curitĂ© et maintenir la paix, les forces de sĂ©curitĂ© israĂ©liennes se dĂ©ploient dans toute la ville, y compris le long de la cĂ©lĂšbre Via autre dĂ©couverte extraordinaire a eu lieu Ă 2 km au sud de lâendroit oĂč a Ă©tĂ© trouvĂ© le bateau, sur le site de lâancienne Magdala, ville natale de Marie Madeleine, disciple de JĂ©sus. Les archĂ©ologues franciscains avaient commencĂ© Ă mettre au jour une partie de la ville dans les annĂ©es 1970, mais la moitiĂ© nord restait enfouie. Puis, en 2004, le pĂšre Juan Solana, initialement envoyĂ© par le Vatican pour surveiller le fonctionnement dâun hĂŽtel pour pĂšlerins de JĂ©rusalem, a dĂ©cidĂ© de bĂątir une retraite pour les pĂšlerins de GalilĂ©e. Il a rĂ©coltĂ© de lâargent et achetĂ© des terrains sur les rivages du lac, dont des parcelles non encore fouillĂ©es de Magdala En 2009, avant que ne dĂ©butent les travaux, une mission dâarchĂ©ologie prĂ©ventive est venue sur place, comme le veut la loi. Les sondages du sous-sol rocheux ont alors rĂ©vĂ©lĂ© les ruines enfouies dâune synagogue de lâĂ©poque de JĂ©sus âla premiĂšre du genre mise au jour en GalilĂ©e. La dĂ©couverte Ă©tait de premiĂšre importance, car elle rĂ©duisait Ă nĂ©ant lâargument des sceptiques selon lequel les premiĂšres synagogues de GalilĂ©e apparurent plusieurs dĂ©cennies aprĂšs la mort de JĂ©sus âune thĂ©orie incompatible avec le portrait que les Ăvangiles dressent de lui, celui dâun Juif pratiquant qui prĂȘchait souvent et accomplissait ses miracles dans les synagogues. Les pĂšlerins orthodoxes Ă©thiopiens cĂ©lĂšbrent PĂąques au sommet de l'Ă©glise du Saint-SĂ©pulcre. Dans une longue dispute qui les oppose aux coptes Ă©gyptiens, les moines Ă©thiopiens occupent un monastĂšre sur le toit depuis plus de 200 ans pour faire valoir leur prĂ©tention Ă une partie de l' DE Alessio RomenziLes fouilles ont livrĂ© des murs bordĂ©s de bancs preuve quâil sâagissait dâune synagogue et un sol en mosaĂŻque. Au centre de la piĂšce reposait une pierre de la taille dâune cantine militaire, sculptĂ©e des principaux symboles sacrĂ©s du Temple de JĂ©rusalem. La dĂ©couverte de la pierre de Magdala, comme on lâappelle dĂ©sormais, a portĂ© un coup fatal Ă la thĂ©orie naguĂšre trĂšs rĂ©pandue selon laquelle les GalilĂ©ens nâĂ©taient que des rustauds impies, bien Ă©loignĂ©s du foyer spirituel dâIsraĂ«l. La poursuite des fouilles a permis de dĂ©couvrir toute une ville enfouie Ă moins de 30 cm sous la surface. Les ruines Ă©taient si bien prĂ©servĂ©es que certains nâhĂ©sitĂšrent pas Ă surnommer Magdala la PompĂ©i dâIsraĂ«l ». LâarchĂ©ologue Dina Avshalom-Gorni me fait visiter le site. Elle me montre les vestiges de resserres, de bains rituels et dâun atelier oĂč, peutĂȘtre, on prĂ©parait et vendait le poisson. Je peux tout Ă fait mâimaginer des femmes en train dâacheter du poisson dans le marchĂ© qui se trouve juste ici », me dit-elle en indiquant de la tĂȘte les fondations dâĂ©tals en pierre. Le pĂšre Solana nous rejoint. Je lui demande ce quâil dit aux visiteurs voulant savoir sâil est arrivĂ© Ă JĂ©sus de parcourir ces rues. On ne saurait rĂ©pondre Ă cette question, admet-il, mais on doit garder Ă lâesprit le nombre de fois oĂč les Ăvangiles mentionnent sa prĂ©sence dans une synagogue de GalilĂ©e. » Puis, tenant compte du fait que la synagogue de Magdala Ă©tait frĂ©quentĂ©e Ă lâĂ©poque du ministĂšre de JĂ©sus et ne se trouvait quâĂ quelques encablures de CapharnaĂŒm, Solana conclut Nous nâavons aucune raison de nier ou de douter que JĂ©sus ait frĂ©quentĂ© ce lieu. » Ă chaque Ă©tape de mon pĂ©riple en GalilĂ©e, les traces de pas tĂ©nues laissĂ©es par JĂ©sus semblent mieux se dessiner. Lors de mon retour Ă JĂ©rusalem, elles prennent encore davantage de densitĂ©. Le Nouveau Testament dit que la citĂ© antique est le théùtre de bon nombre de miracles et dâĂ©pisodes parmi les plus spectaculaires. Si les rĂ©cits des quatre Ăvangiles divergent quant Ă la naissance de JĂ©sus, ils sont bien plus proches au sujet de sa mort. AprĂšs ĂȘtre venu Ă JĂ©rusalem pour assister Ă la PĂąque, JĂ©sus est conduit devant le grand prĂȘtre CaĂŻphe, qui lâaccuse de blasphĂšme et de menaces contre le Temple. CondamnĂ© Ă mort par le procurateur romain Ponce Pilate, JĂ©sus est crucifiĂ© et enterrĂ© non loin de lĂ , dans un tombeau creusĂ© dans le roc. Lâemplacement traditionnel de ce tombeau, dans ce qui est devenu lâĂ©glise du Saint-SĂ©pulcre, est considĂ©rĂ© comme le lieu le plus sacrĂ© du christianisme. En 2016, je me suis rendue Ă plusieurs reprises dans lâĂ©glise pour me documenter sur la restauration historique de lâĂdicule, le sanctuaire qui hĂ©berge le tombeau rĂ©putĂ© ĂȘtre celui de JĂ©sus. Aujourdâhui, pendant la semaine de PĂąques, je suis de retour. Debout, avec les pĂšlerins en vacances qui attendent leur tour pour pĂ©nĂ©trer ans le minuscule sanctuaire, je me souviens des nuits passĂ©es dans lâĂ©glise vide au cĂŽtĂ© de lâĂ©quipe de scientifiques chargĂ©e de sa restauration. Je suis Ă©merveillĂ©e du nombre de dĂ©couvertes archĂ©ologiques faites Ă JĂ©rusalem et ailleurs au cours des ans et qui rendent crĂ©dibles les Ăcritures. Ă quelques mĂštres seulement du tombeau du Christ, on trouve dâautres sĂ©pultures de la mĂȘme pĂ©riode creusĂ©es dans la roche. Cela prouve que cette Ă©glise, dĂ©truite et reconstruite deux fois, avait Ă©tĂ© bĂątie sur un cimetiĂšre juif. Je me souviens avoir Ă©tĂ© seule dans le tombeau aprĂšs que la dalle de marbre avait Ă©tĂ© momentanĂ© - ment retirĂ©e. JâĂ©tais submergĂ©e par lâĂ©motion en contemplant lâun des plus impor - tants monuments de lâhistoire humaine âune simple banquette de calcaire que les gens rĂ©vĂšrent depuis des millĂ©naires, une chose qui nâavait peut-ĂȘtre pas Ă©tĂ© vue depuis un millier dâannĂ©es. Un pĂšlerin sâincline sur la Pierre de lâonction, dans lâĂ©glise du SaintSĂ©pulcre. Câest sur cette pierre quâaurait Ă©tĂ© lavĂ© et prĂ©parĂ© le corps du Christ avant lâ lors de ma visite de PĂąques, me revoici Ă lâintĂ©rieur du tombeau, pressĂ©e contre trois femmes russes. La dalle de marbre a Ă©tĂ© remise en place, protection indispensable du lit funĂ©raire contre tous les rosaires et cartes de priĂšre inlassablement dĂ©posĂ©s, sinon frottĂ©s, sur cette surface. La plus jeune des femmes implore JĂ©sus de guĂ©rir son fils Evgueni, atteint dâune leucĂ©mie. Ă lâextĂ©rieur, devant lâentrĂ©e, un prĂȘtre rappelle dâune voix forte que le temps accordĂ© pour notre visite est Ă©coulĂ©, dâautres pĂšlerins attendant leur tour. Ă regret, les trois femmes se relĂšvent et quittent les lieux, une Ă une. Je les suis. Je me rends compte que, pour les croyants sincĂšres, les Ă©tudes entreprises par les chercheurs sur le JĂ©sus historique, le JĂ©sus terrestre, pure - ment humain, sont de peu dâeffet. Cette quĂȘte produira dâinnombrables thĂ©ories contradic - toires, des questions sans rĂ©ponse, des faits inconciliables. Mais, pour les vĂ©ritables croyants, la foi dans la vie, la mort et la rĂ©surrection du Fils de Dieu est amplement suffisante. Kristin Romey couvre les sujets civilisations et dĂ©couvertes archĂ©ologique pour le magazine et le site National Geographic. BasĂ© Ă Londre, le photographe Simon Norfolk s'est spĂ©cialisĂ© dans la photographie d'architecture et de paysages.
LaCulture de lâignorance. Raison PrĂ©sente, la revue de l âUnion Rationaliste a publiĂ© en mars 2018 un copieux dossier sur «la culture de lâignorance». DerriĂšre cet apparent jeux de mots se trouve une interrogation ainsi rĂ©sumĂ©e par les deux co-ordinateurs du dossier, le philosophe Mathias Girel (1) et la physicienne MichĂšle Leduc
Answers & Comments Odette Verified answer LĂ je n'y crois vraiment pas ! Serais c'est certain de l'avis de François Rabelais qui nous affirmait ,,,,,, Ignorance est mĂšre de tous les maux. »Extrait de CinquiĂšme Livre X-Librusse C' est probablement la question qui a amenĂ© Platon Ă opter pour la dictature en imaginant que la dĂ©mocratie peut amener l'ignorance au pouvoir . TĂȘtaclic Parce que... d'abord ...pourquoi ? j'en sais rien..!Tu avoueras que poser une question pareille dans une rubrique ou les connaissances et le savoir sont une force, c'est tout de mĂȘme une gageure. un peu croquignolesque.....Veux tu que je te dĂ©veloppe toute une sĂ©rie d'arguments afin de te convaincre Ă quel point mes connaissances en la matiĂšre sont dĂ©risoires, vaines et stĂ©rile ..ouais quoi ...pourquoi et comment je suis un ignare faiblard et malgrĂ© tout heureux de l'ĂȘtre... heu...reux...un peu comme les simples d'esprit Ă qui le royaume des cieux appartient et qu'ils conservent si prĂ©cieusement ..?..- ? Dans le chef dâĆuvre dâOrwell 1984, un slogan du parti au pouvoir est Lâignorance, câest la force. »Ce que ça signifie en fait, câest que lâignorance du peuple est la force du gouvernement si les gens ne connaissent pas les choses ou ne dispose pas de lâinformation pour prendre les bonnes dĂ©cisions, alors ils sont des sujets et non pas des citoyens informĂ©s. ? Peut-ĂȘtre ...parce que lâignorant ne sait pas, ce quâil faut est censĂ© de savoir. L'ignorance est une faute ! ? "L'indiffĂ©rence est la meilleure des vengeances " "L'ignorance comme l'hypocrysie est le pire des mĂ©pris...le fait d'ignorer quelqu'un comme l'hypocrisie est le pire des mĂ©pris". Æritz le KaT âź . Oui.... le savoir engendre la crainte et nous donne nos vraies limites .....! L 'inconscient ne craint personne ...! Par exemple dans un conflit âș L'ignorance savante, c'est celle de celui qui sait qu'il ne sait pas » Il ne mesure pas le danger Ă sa juste valeur . âș L'ignorance profonde c'est celle de celui qui ne sait pas qu'il ne sait pas ». Il ne sait mĂȘme pas qu'il y a un danger . .. MĂ©tanoĂŻa c'est pas l'ignorance simulĂ©e qui est voulue ou mĂȘme l'indiffĂ©rence qui sont la force, la force vien du dĂ©sir pĂ©dagogique de laisser son semblable rĂ©gler des problĂ©matiques de la vie par lui-mĂȘme; bonnes fĂȘtes de fin d'annĂ©e CheGuevara Pas la force, mais la brutalitĂ©, sinon la force par contre relĂšve de l'intelligence et comme telle elle est douce. Anonyme Est-ce l'ignorance est une force? je ne le savais pas..Bonne annĂ©e!
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Citationsfrançaises la vraie science est une ignorance qui se sait : La vraie science est une ignorance qui se sait. Cherchez ici une citation ou un auteur Proverbes; Dictons; Auteurs; ThĂšmes; ThĂšmes voir tous; Toux; Plus; Tout ; Vers; Homme; Hommes; ĂȘtre; Voix; Sens; Amour; Jour; Jours; Amis; Gens; Comme; Auteurs voir tous Jacques Amyot 1593 Ă 80 ans
Nous vivons dans une galaxie peuplĂ©e de centaines de milliards de soleils. Les planĂštes de type terrestre y seraient des milliards... Alors, pourquoi dans cet espace si vaste, n'avons-nous pas encore eu de contact avec des civilisations extraterrestres ? Voici 11 possibilitĂ©s pour tenter de l' a-t-il de la vie ailleurs que sur Terre ou bien sommes-nous absolument seuls dans l'univers ? Cette question taraude l'humanitĂ©. On aurait plutĂŽt tendance Ă penser qu'il y a d'autres mondes habitĂ©s, surtout si l'on considĂšre qu'il y a des centaines de milliards d'Ă©toiles dans notre galaxie - et des centaines de milliards de galaxies dans l'univers - et que la plupart d'entre elles sont entourĂ©es de planĂštes...En outre, 13 milliards d'annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis la formation de la Voie lactĂ©e, ce qui, est-on en droit de penser, laisse pas mal de temps Ă la vie pour Ă©merger sur une multitude de planĂštes. Alors, comme l'Ă©nonce le fameux paradoxe de Fermi, s'il y a de la vie ailleurs et des civilisations extraterrestres Carl Sagan en pronostiquait plus de pourquoi ces ĂȘtres ne sont-ils pas encore venus nous trouver ? Mais oĂč sont-ils donc ? », s'Ă©tait Ă©criĂ© Enrico Fermi. Voici 11 possibilitĂ©s qui pourraient expliquer ce Il nây a pas dâextraterrestresUne possibilitĂ© serait que nous sommes absolument et dĂ©sespĂ©rĂ©ment seuls dans tout l'univers. Il n'y aurait aucune vie ailleurs que sur la Terre. Tous les autres mondes seraient stĂ©riles, en somme. Ou alors, la vie aurait pu commencer puis ĂȘtre annihilĂ©e par un Ă©vĂšnement cosmique. C'est bien possible mais cela reste difficile Ă croire quand on sait, selon les statistiques, qu'il y aurait au moins 40 milliards d'exoterres habitables, rien que dans notre galaxie. On aurait plutĂŽt envie de penser, au contraire, que la vie pullule...2. Il nây a pas de vie extraterrestre intelligenteD'abord, comment dĂ©finir une vie extraterrestre intelligente ? En faisons-nous partie ? AprĂšs tout, il y a peut-ĂȘtre bien de la vie ailleurs mais de nature primitive... microbienne, par exemple, Ă l'image de celle qui s'est dĂ©veloppĂ©e sur Terre durant plusieurs milliards d'annĂ©es. Ou encore des plantes et des animaux qui n'auraient pas encore les facultĂ©s de communiquer au-delĂ de leur planĂšte pour la Terre, ce fut le cas jusqu'Ă tout rĂ©cemment... Ă l'Ă©chelle gĂ©ologique.3. Les extraterrestres nâutilisent pas de technologieDes civilisations extraterrestres pourraient trĂšs bien ne pas avoir de technologie leur permettant de communiquer avec d'autres mondes. Leur dĂ©veloppement a pu ĂȘtre trĂšs diffĂ©rent du nĂŽtre, aussi pourraient-ils trĂšs bien ne pas s'y intĂ©resser. Ou encore, ne pas avoir envie de l'utiliser...Une vidĂ©o pour la promotion de la recherche de civilisations extraterrestres dans l'univers. Pour obtenir une traduction en français assez fidĂšle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas Ă droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaĂźtre, si ce n'est pas dĂ©jĂ le cas. En cliquant ensuite sur l'Ă©crou Ă droite du rectangle, vous devriez voir l'expression Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaĂźtre le menu du choix de la langue, choisissez Français », puis cliquez sur OK ». © Breakthrough Initiative, YouTube4. Les extraterrestres ont une technologie beaucoup plus avancĂ©e que la nĂŽtreAutre cas de figure leur technologie pourrait ĂȘtre beaucoup plus avancĂ©e que la nĂŽtre. Il est possible qu'ils utilisent des modes de communication que nous ne connaissons pas encore et qui sont impossibles Ă Les civilisations extraterrestres sâautodĂ©truisentQuand on voit les dĂ©fis auxquels l'humanitĂ© est confrontĂ©e, particuliĂšrement depuis le milieu du XXe siĂšcle, il est permis de penser qu'ailleurs, sur d'autres planĂštes, des civilisations dites intelligentes » aient pu causer leur propre disparition. En ce qui nous concerne, les menaces d'effondrement et/ou d'extinction sont multiples le feu nuclĂ©aire au terme d'un conflit mondial, un rĂ©chauffement climatique sĂ©vĂšre famines, sĂ©cheresses, maladies, guerres, effondrement des dĂ©mocraties, etc. combinĂ© Ă la sixiĂšme extinction massive, des Ă©pidĂ©mies, etc. NĂ©anmoins, on peut espĂ©rer que l'Homme saura Ă©viter de telles issues...6. Lâunivers est un environnement trĂšs dangereuxComme nous l'avons vu plus haut, une sixiĂšme extinction de masse a commencĂ© sur Terre. Alors que cette derniĂšre est causĂ©e par notre espĂšce, les prĂ©cĂ©dentes avaient toutes une origine naturelle des changements climatiques naturels et aussi... des astĂ©roĂŻdes, comme ce fut le cas pour la prĂ©cĂ©dente crise biologique, il y a 65 millions d' Homo sapiens sait que des astĂ©roĂŻdes risquent encore un jour de mettre en pĂ©ril la vie sur Terre et il sait aussi qu'il existe encore d'autres Ă©vĂšnements cosmiques qui pourraient l'anĂ©antir, tels que des surpernovae, des quasars et aussi, prĂšs de nous, de violentes Ă©ruptions solaires. Il est donc possible qu'ailleurs, et frĂ©quemment, la vie n'ait pas eu le temps de se dĂ©velopper. Songeons, par exemple, que les naines rouges autour desquelles sont souvent dĂ©couvertes des planĂštes rocheuses voir Trappist-1 et ses 7 planĂštes sont manifestement des Ă©toiles Ă l'humeur ravageuse. Leurs colĂšres rĂ©pĂ©titives rĂ©duisent en effet fortement les chances que ces planĂštes soient vraiment habitables...7. La Voie lactĂ©e est trĂšs grandePour expliquer qu'un contact avec une civilisation extraterrestre avancĂ©e n'ait pas encore eu lieu, une autre possibilitĂ© est que notre galaxie - et plus encore, l'univers - est tellement grande que cela n'a pas pu encore se produire. Avec un diamĂštre de annĂ©es-lumiĂšre, on peut imaginer que des signaux Ă©mis Ă l'autre bout de la Voie lactĂ©e mettent donc plusieurs millĂ©naires pour arriver. Tout dĂ©pend de la distance et aussi quand cela a Ă©tĂ© fait. Et puis, n'oublions pas qu'il y a des centaines de milliards d'Ă©toiles... Nous n'avons tout simplement peut-ĂȘtre pas encore Ă©tĂ© repĂ©rĂ©. Nous ne sommes peut-ĂȘtre mĂȘme pas sur leurs listes... Le choix est incommensurable. Par exemple, s'ils ont Ă©mis un signal il y a 100 ans et qu'ils sont Ă annĂ©es-lumiĂšre, il va donc encore falloir attendre ans. MĂȘme problĂšme pour nous, qui recherchons aussi des Ă partir dâimages de missions spatiales, le court-mĂ©trage Wanderers nous invite Ă nous promener en compagnie dâexplorateurs humains dâun monde Ă lâautre dans notre SystĂšme solaire. BientĂŽt une rĂ©alitĂ© ? Pour obtenir une traduction en français assez fidĂšle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas Ă droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaĂźtre, si ce n'est pas dĂ©jĂ le cas. En cliquant ensuite sur l'Ă©crou Ă droite du rectangle, vous devriez voir l'expression Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaĂźtre le menu du choix de la langue, choisissez Français », puis cliquez sur OK ». © Erik Wernquist8. Nous recherchons des extraterrestres depuis trop peu de tempsCela ne fait pas encore un siĂšcle que l'humanitĂ© est en mesure de capter des signaux d'une civilisation extraterrestre via des radiotĂ©lescopes. Cela fait 80 ans et la recherche active de signaux a dĂ©butĂ© vraiment, quant Ă elle, il y a Ă peine 60 ans. C'est donc un laps de temps extrĂȘmement court en comparaison avec l'Ăąge de la Voie outre, il y a tellement de directions possibles que nous ne tendons pas forcĂ©ment l'oreille au bon endroit. Comme l'illustre Andrew Fain dans un article d'UniverseToday, c'est un peu comme si nous recherchions la frĂ©quence d'un ami sur une CB qui possĂšde quelque 250 milliards de canaux...9. Les extraterrestres nâĂ©mettent pas ou peu de signauxIl est possible encore que les civilisations extraterrestres Ă©coutent sans pour autant Ă©mettre de signaux forts, Ă l'instar de ce que nous faisons. De notre cĂŽtĂ©, nous en envoyons quelques-uns en direction de quelques Ă©toiles. En rĂ©alitĂ©, on s'est encore fait peu Les extraterrestres nous Ă©vitentNous ne connaissons pas leurs modes de pensĂ©e bien sĂ»r. Mais, on peut imaginer qu'en fait nous ne les intĂ©ressons pas du tout, ni d'ailleurs notre planĂšte. Les conditions y sont peut-ĂȘtre trop hostiles pour eux. Ă moins, aussi, que nous leur paraissons trop dangereux et infrĂ©quentables. Qui sait ? Peut-ĂȘtre leur faisons-nous peur !Il est possible aussi qu'ils appliquent une politique Ă l'Ă©chelle galactique de non-ingĂ©rence en ce qui concerne les mondes comme le nĂŽtre, peuplĂ©s d'ĂȘtres primitifs... comme dans Star Trek. Peut-ĂȘtre jugent-ils alors qu'un contact serait trop prĂ©maturĂ© et ont dĂ©libĂ©rĂ©ment choisi, du moins pour l'instant, de nous laisser tranquille, Ă nos affaires, se gardant d' Les extraterrestres sont dĂ©jĂ lĂ Last but not least derniĂšre mais pas des moindres » peut-ĂȘtre que les Visiteurs sont dĂ©jĂ lĂ et que nous ne les avons mĂȘme pas remarquĂ©s. Alors, peut-ĂȘtre nous observent-ils en toute discrĂ©tion. Par contre, de lĂ Ă se convaincre que des extraterrestres ont passĂ© des accords avec les gouvernements de plusieurs pays, comme l'assĂšnent Ă tout bout de champ et Ă tue-tĂȘte non sans ridicule et non sans nous assommer les complotistes sur le Web, cela paraĂźt plus risible que sommes-nous seuls dans l'univers ou pas ? En tout cas, estiment plusieurs astronomes et exobiologistes, nous devrions bientĂŽt savoir s'il y a de la vie ailleurs. Des chercheurs sont confiants quant Ă faire de telles dĂ©couvertes au cours des prochaines annĂ©es. D'une part, au sein de notre SystĂšme solaire, via des sondes et des atterrisseurs sur Mars, Europe et/ou Encelade. Et, d'autre part, au-delĂ , en Ă©tudiant l'atmosphĂšre des exoplanĂštes rocheuses que nous dĂ©busquons avec toujours plus d'acuitĂ©...IntĂ©ressĂ© par ce que vous venez de lire ? Abonnez-vous Ă la lettre d'information La question de la semaine notre rĂ©ponse Ă une question que vous vous posez, forcĂ©ment. Toutes nos lettres dâinformation
Webescence- Citations. Accueil > Michel de Montaigne > La vraie science est une ignorance qui se sait. âLa vraie science est une ignorance qui se sait.â. Michel de Montaigne. Essais.
Science sans conscience n'est que ruine de l'Ăąme. Rabelais, Pantagruel. Utiliser la science dans un but immoral et pervers revient au bout du compte Ă dĂ©truire ce qui fait la noblesse de l'homme. Savoir par coeur n'est pas savoir c'est tenir ce qu'on a donnĂ© en garde Ă sa mĂ©moire. Montaigne, Essais, I, 26. Savoir par coeur relĂšve d'un apprentissage mĂ©canique et d'une conservation d'informations communiquĂ©es par d'autres que l'on rĂ©pĂšte sans rĂ©flĂ©chir. Le vĂ©ritable savoir consiste Ă imaginer et Ă ouvrir de nouvelles voies. Ce n'est pas dans la science qu'est le bonheur, mais dans l'acquisition de la science. Edgar Poe, Puissance de la parole. Le bonheur intellectuel rĂ©side dans la recherche et dans l'apprentissage. Celui qui saurait tout d'une science se priverait de ces plaisirs ainsi que de celui de la dĂ©couverte. La vĂ©ritable science enseigne, par-dessus tout, Ă douter et Ă ĂȘtre ignorant. Miguel de Unamuno, Le Sentiment tragique de la vie. La vĂ©ritable science enseigne la prĂ©caritĂ© de ses propres affirmations et l'ignorance dans laquelle l'homme se trouve ĂȘtre, en dĂ©finitive, des mystĂšres de l'univers. Nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mĂȘmes. Emmanuel Kant, Critique de la raison pure. Dans toute connaissance, l'esprit met quelque chose de lui-mĂȘme. C'est pourquoi il faut distinguer la connaissance a priori de la forme des choses, de la connaissance a posteriori de la matiĂšre et qui Ă©mane de l'objet connu. On ne connaĂźt pas complĂštement une science tant qu'on n'en sait pas l'histoire. Auguste Comte. La connaissance d'une science passe par la connaissance de son itinĂ©raire, c'est-Ă -dire de ses errances, de ses erreurs et de ses dĂ©couvertes. Pour expliquer un brin de paille, il faut dĂ©monter tout l'univers. RĂ©my de Gourmont, Le Chemin de velours. La chose en apparence la plus insignifiante est en fait reliĂ©e Ă la totalitĂ© de l'Univers ; et l'on ne saurait l'expliquer sans expliquer l'Univers. Toute science crĂ©e une nouvelle ignorance. Henri Michaux, DifficultĂ©s, Le portrait de A. Plus une science progresse dans sa recherche, plus elle dĂ©couvre l'Ă©tendue de son ignorance face Ă ce qu'il lui reste Ă comprendre et Ă rĂ©soudre. Nul ne voit que la science est elle-mĂȘme aphasique. Pierre Klossowski, Nietzsche et le cercle vicieux. La science est incapable de parler ou de comprendre le monde qu'elle prĂ©tend pourtant expliquer. Si elle admettait son absence de fondement, l'Ă©chafaudage de la rĂ©alitĂ© s'Ă©croulerait. Pour le savant, croire la science achevĂ©e est toujours une illusion aussi complĂšte que le serait pour l'historien de croire l'histoire terminĂ©e. Louis de Broglie, Physique et microphysique. La recherche scientifique est une quĂȘte sans fin. Quand il se prĂ©sente Ă la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est mĂȘme trĂšs vieux, car il a l'Ăąge de ses prĂ©jugĂ©s. Gaston Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique. L'homme doit vaincre ses prĂ©jugĂ©s s'il veut avoir une chance de comprendre les phĂ©nomĂšnes scientifiques. Une expĂ©rience scientifique est ... une expĂ©rience qui contredit l'expĂ©rience commune. Gaston Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique. Une thĂ©orie scientifique peut annuler une autre thĂ©orie scientifique, mais les vĂ©ritĂ©s des oeuvres d'art se soutiennent les unes les autres. EugĂšne Ionesco, Notes et contre-notes. Il n'y a pas de vĂ©ritĂ© absolue en science puisqu'il est frĂ©quent qu'une thĂ©orie scientifique en batte en brĂšche une autre. Au contraire, il n'y a pas de contradiction en art, d'une oeuvre Ă l'autre, chacune dĂ©couvrant une parcelle de vĂ©ritĂ©.
Cen'est pas dans la science qu'est le bonheur, mais dans l'acquisition de la science. Edgar Poe, Puissance de la parole. Le bonheur intellectuel rĂ©side dans la recherche et dans l'apprentissage. Celui qui saurait tout d'une science se priverait de ces plaisirs ainsi que de celui de la dĂ©couverte. La vĂ©ritable science enseigne, par-dessus tout, Ă douter et Ă ĂȘtre
MĂȘme encore jeune, on sâaperçoit que la vie passe vite et quâelle dĂ©pend de nos choix. Quâil nous appartient dâĂȘtre heureux et que, selon notre rapport aux autres, nous en apprĂ©cions le goĂ»t ou nous le perdons. Que lâargent participe au bonheur, mais quâil est le pire poison lorsque nous nous en servons pour remplacer » lâautre, pour nous mettre Ă lâabri de lui ou ne pas en dĂ©pendre, pour nous en protĂ©ger ou le fuir, nous le savons tous par expĂ©rience. La source dâune sagesse ou dâune morale ? En racontant une histoire Ă ses disciples Il Ă©tait une fois⊠», celle de lâhomme riche et du pauvre Lazare, JĂ©sus va plus chemins des deux protagonistes se croisent Ă leur mort ; parfois, il nous arrive de le constater dans dâautres existences, bien avant. Nous pouvons ĂȘtre ainsi, de notre vivant, les tĂ©moins de renversements de destins et de cette opposition riche-pauvre qui marque tellement nos histoires. Nous apprenons ainsi Ă nous mĂ©fier du dĂ©sir de tout faire pour ĂȘtre riches et Ă connaĂźtre le prix du ou dâun rĂ©cit que propose JĂ©sus Ă notre rĂ©flexion est fort, car rĂ©aliste. Dans son principe de fonctionnement, dâaccumuler toujours plus de la richesse et de la garder, le riche » â il nâa pas de nom, câest un archĂ©type, câest nous dans notre dĂ©sir de toute-puissance par le biais de lâargent â rĂ©siste ; il ne sâavoue pas vaincu, discute, essaie de nĂ©gocier jusquâau bout. Son problĂšme nâest peut-ĂȘtre pas dâĂȘtre riche, mais de lâĂȘtre dans lâexcĂšs en tĂ©moignent son attitude hautaine et sa maniĂšre ostentatoire de manifester sa richesse par le luxe de ses vĂȘtements il Ă©tait vĂȘtu de pourpre et de lin fin ». Ă aucun moment ne se manifeste chez lui le moindre sentiment de la richesse de Lazare, câest son nom, qui dĂ©finit son identitĂ©, sa façon dâĂȘtre au monde et aux autres en hĂ©breu, Dieu vient Ă mon aide ». Sa pauvretĂ© Ă lâorigine de sa maladie et la conscience de son manque » face Ă lâexistence, il les connaĂźt, les Ă©prouve, mais, surtout, ils lui permettent de comprendre que, pour vivre, on a absolument besoin des autres. Sa richesse, câest de savoir ce que le mot dĂ©tresse veut dire ; sa cruelle situation le rend sensible Ă la fragilitĂ© de lâexistence, Ă lâespoir de lâĂ©change et du partage avec lâ la bouche de JĂ©sus, le rĂ©cit est plus quâun simple avertissement face aux incertitudes de la vie et aux bouleversements qui peuvent sâopĂ©rer dans notre vie, lorsque lâon se prend au piĂšge du dĂ©sir dâĂȘtre riche pour ĂȘtre riche. Pour lui, la vraie vie est celle qui se construit avec les autres, dans une solidaritĂ© qui est une fraternitĂ© sans frontiĂšres. Deux actualitĂ©s parmi dâ premiĂšre, câest la tentation des pays riches de se protĂ©ger des migrants qui veulent Ă©chapper Ă la terreur de la guerre ou Ă la misĂšre de leur pays. MĂȘme si toute politique nĂ©cessite une prise en compte des rĂ©alitĂ©s dans leur complexitĂ©, la redistribution mondiale des richesses et les bouleversements entraĂźnĂ©s par les nouveaux rapports de force imposent aux plus riches de secourir les plus pauvres. Un chiffre on compte aujourdâhui 50 millions dâenfants dĂ©racinĂ©s. Nous sommes tous des citoyens du monde ; nous avons une responsabilitĂ©. LâannĂ©e Ă©lectorale qui sâouvre en France va nous obliger Ă rĂ©agir aux propositions des candidats, Ă leur vision du monde et de lâavenir de la seconde actualitĂ©, câest lâattitude de lâĂglise face aux dĂ©tresses de notre temps. Des PĂšres de lâĂglise ont vu en Lazare une raison de sâinterroger quant Ă lâimplication de lâinstitution. Que diraient-ils aujourdâhui ? Il y a bien sĂ»r la situation internationale, mais il y a aussi les situations individuelles de dĂ©tresses, ici ou lĂ , Ă lâimage des ulcĂšres sur le pauvre corps de Lazare, quâil sâagit dâentendre et de secourir. Et, parmi elles, tous ceux ou toutes celles qui sont condamnĂ©s Ă cause des prĂ©jugĂ©s tenaces, des ignorances entretenues ou des replis moraux au nom dâune bonne monde, Ă commencer par lâĂglise avocate de lâhumanitĂ© dans ce monde, est face Ă un dĂ©fi majeur les nouvelles pauvretĂ©s, collectives ou individuelles. La rĂ©ponse, Ă la hauteur de celui de lâhomme riche dans le rĂ©cit de JĂ©sus, câest un vĂ©ritable saut Ă opĂ©rer, celui de lâamour de lâautre. Pas seulement une question de sagesse ou de moralitĂ©. Ou de politique. Mais une question de foi, dans celle de lâamour qui trouve sa source dans celui dâun Dieu PĂšre. VoilĂ la parole » de JĂ©susFils, comme une graine plantĂ©e dans la terre de notre ĂȘtre vivant, qui ne demande quâĂ grandir.
Leurenseigner que la science est un grimoire Ă mĂ©moriser nâest pas la bonne mĂ©thode. Je travaille actuellement Ă une Ă©dition de LâIgnorance destinĂ©e Ă accompagner les fastidieux manuels scolaires pendant les cours de science dispensĂ©s aux adolescents de 15 Ă 18 ans. Cet ouvrage leur enseignera que la science, câest ce que lâon ignore, plutĂŽt
On me pose souvent la question quâest-ce que la philosophie ? â A quoi sert-elle ? Dans la mesure oĂč un chapitre de mon blog est destinĂ© Ă Ă©lucider ces questions, je supprime dâordinaire ces messages. Mais ils sont, sans doute, le signe, que certains internautes sont en quĂȘte dâun cours synthĂ©tique comblant une curiositĂ© bien lĂ©gitime celle du lycĂ©en nâayant jamais fait de philosophie ou celle de lâhonnĂȘte homme ayant parfois des doutes sur lâintĂ©rĂȘt dâune discipline trop souvent galvaudĂ©e sur la scĂšne publique. Car la philosophie est Ă la mode mais il n'est pas sĂ»r que ceux qui en assurent le succĂšs mĂ©diatique en soient les plus fidĂšles serviteurs. Reste que, comme le montre la frĂ©quentation des grands philosophes, rien n'est plus problĂ©matique que la rĂ©ponse Ă une telle question. Cela tient au fait que la dĂ©finition de la philosophie est en jeu dans le questionnement et la pratique philosophiques eux-mĂȘmes. Chaque auteur incarne l'intentionnalitĂ© philosophique Ă sa maniĂšre, en rĂ©actualise la nature et les fins de telle sorte qu'il peut ĂȘtre intĂ©ressant d'en dĂ©crire les variantes. Mais ce n'est pas mon objectif dans cet article oĂč je cherche avant tout Ă saisir l'intentionnalitĂ© philosophique elle-mĂȘme dans ce qu'elle a de plus essentiel. D'oĂč ce cours oĂč je dĂ©fends une certaine IDEE de la philosophie, celle que Platon attribue Ă Socrate et qui inspire la plupart des cours du premier chapitre de ce blog. Cette IDEE peut ĂȘtre discutĂ©e par tous ceux qui, de l'intĂ©rieur de la philosophie, sont conduits Ă la problĂ©matiser, mais il me semble qu'on ne peut pas, sans contradiction, disqualifier radicalement la posture socratique et se prĂ©tendre philosophe. Quâest-ce donc que la philosophie ? Quelle est sa nature et quels sont ses enjeux ? LâĂ©tymologie du mot fournit une premiĂšre indication. Selon la terminologie grecque, ÏÎčλοοÏία est composĂ© de ÏÎčλΔáżÎœ, aimer » et de ÎżÏία, la sagesse, le savoir» , la philosophie se dĂ©finit comme amour de la sagesse. Mais que faut-il entendre par lĂ ? I Le philosophe nâest pas le sage. Il importe de souligner quâen se prĂ©sentant comme un amoureux de la sagesse, le philosophe annonce clairement quâil ne prĂ©tend pas ĂȘtre un sage. Le ÏÎčÎ»ÎżÎżÏ nâest pas le ÎżÏ, ce Sage qui Ă©tait lâobjet dâun culte dans la GrĂšce antique. [Pour mĂ©moire Le chiffre sept Ă©tant considĂ©rĂ© comme celui de la sagesse, la tradition voulait que ces Sages fussent au nombre de sept. La liste de ces sept personnes avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e par les prĂȘtres de Delphes selon l'oracle en 585 av. Mais elle peut varier selon les historiens. Il s'agit, selon DiogĂšne LaĂ«rce de ThalĂšs de Milet, Bias de PriĂšne, Solon dâAthĂšnes, Chilon de Sparte, PĂ©riandre de Corinthe, ĂpimĂ©nide de CrĂšte, PhĂ©rĂ©cyde de Syros, Pittacos de MytilĂšne, ClĂ©obule de Lindos Ă Rhodes, Myson originaire dâune obscure bourgade continentale et Anacharsis fils dâun roi barbare et dâune Grecque]. La figure du philosophe, celle de Socrate, Ă©merge historiquement par contraste avec celle du Sage. Certes, celui que l'on a appelĂ© le pĂšre de la philosophie » fut reconnu par lâoracle de Delphes comme lâhomme le plus sage dâAthĂšnes. Mais la rĂ©ponse de la Pythie Ă la question de son ami ChĂ©rĂ©phon, ne cesse dâĂ©tonner Socrate. Il ne comprend pas quâon puisse lui faire cet honneur, car sâil y a quelque chose qui le distingue de ses concitoyens, câest bien la conscience de son indigence. Il proclame haut et fort ne rien savoir. Tout ce que je sais, câest que je ne sais pas, dit-il, et sâil interroge sur la place publique les hommes quâil croise, sur les grands sujets qui devraient prĂ©occuper la conscience humaine, il ne prĂ©tend pas connaĂźtre la rĂ©ponse Ă ses questions. Etrange figure que celle de cet homme dont la mission consiste Ă Ă©veiller les hommes Ă la conscience dâeux-mĂȘmes. Il les exhorte Ă se connaĂźtre eux-mĂȘmes, Ă se rĂ©flĂ©chir dans le mystĂšre de leur condition. Or ramenĂ©e Ă sa vĂ©ritĂ© existentielle, celle-ci est celle dâun ĂȘtre travaillĂ© par lâĂ©nergie du dĂ©sir. Vivre, pour chacun dâentre nous, câest dĂ©sirer, câest nous projeter vers des objets ou des buts dont nous attendons lâaccomplissement de notre existence. Mais que dĂ©sirons-nous vraiment ? En disant quâil nâa quâun seul savoir, le savoir dâEros, lâamour-dĂ©sir, [ Moi qui fais profession de ne savoir que lâamour » Banquet, 177d], Socrate se prĂ©sente comme celui qui dramatise dans sa personne la rĂ©ponse Ă cette interrogation. Il signifie dâabord quâun ĂȘtre de dĂ©sir est un ĂȘtre privĂ© de la plĂ©nitude des dieux. Le dĂ©sir est la marque en creux dâun manque, dâune pauvretĂ© ontologique car on ne dĂ©sire pas ce que lâon possĂšde, seulement ce dont on est privĂ©. Mais pour tendre vers ce qui pourrait nous combler, il faut bien avoir conscience de ce manque et en ce sens le dĂ©sir est riche, car seul celui qui a lâintelligence de sa misĂšre est en mesure de la surmonter. Socrate est donc Ă la fois pauvre et riche. Comme Eros, dont il se veut lâarchĂ©type, sa nature est ambiguĂ«. Il nâa pas la perfection des dieux mais il tend vers elle et sâil nomme sagesse ce qui permet au dĂ©sir dâavoir lâintelligence de lui-mĂȘme et de ne pas se fourvoyer dans des impasses, câest que le souverain bien de la vie nâest pas offert aux hommes comme un don du ciel. Son vrai nom, câest le bonheur et il se trouve quâil nây a pas de bonheur possible sans la comprĂ©hension de ce qui peut nous rendre heureux et la mise en Ćuvre des moyens appropriĂ©s Ă cette fin. VoilĂ pourquoi de dĂ©sir philosophique ou dĂ©sir de sagesse est au fond le savoir et la sagesse du dĂ©sir. Non point que la sagesse soit en soi la fin de lâexistence. Ce que nous visons comme la fin suprĂȘme, câest la rĂ©ussite de notre vie, son accomplissement, mais sans la sagesse, cette fin est compromise. VoilĂ pourquoi les Anciens la dĂ©finissent comme la mĂ©thode de la vie bonne et heureuse. Ce faisant, ils confĂšrent Ă la philosophie sa dimension existentielle. Ce qui est en jeu en elle, câest bien autre chose quâun simple exercice intellectuel, ce nâest rien moins que notre ĂȘtre et notre vie dans ce qui nous importe le plus, Ă savoir le bonheur. II Analyse de la notion de sagesse. A premiĂšre vue, par les temps qui courent, il faut bien reconnaĂźtre quâelle ne dĂ©finit pas un idĂ©al rĂ©jouissant. La mode est Ă tout ce qui est contre » ou anti » Cf. la contreculture, lâantiphilosophie, lâanti-art etc.. Peu importe que ce qui se croit anticonformiste soit le comble du conformisme ambiant, il nâen demeure pas moins que les idĂ©aux traditionnels de la sagesse semblent bien dĂ©suets. La passion, la dĂ©possession de soi-mĂȘme, le dĂ©lire, les exaltations sociales ou personnelles revĂȘtent plus de prestige dans une sociĂ©tĂ© du spectacle que les sobres vertus du philosophe socratique. Or si lâon en juge par la consommation que nos contemporains font des psychotropes ou des psys » tout court, on nâa pas lâimpression que la fascination des passions et de leurs excĂšs soit le sĂ©same du bonheur. Alors, ne soyons pas piĂ©gĂ©s par les prĂ©jugĂ©s du moment et voyons ce quâil faut entendre par sagesse. En un premier sens, le terme est synonyme de savoir le philosophe est un amoureux du savoir et la sagesse dĂ©finit un idĂ©al thĂ©orique. En un deuxiĂšme sens, il renvoie Ă une certaine maniĂšre de se conduire. Le philosophe se reconnaĂźt Ă une posture existentielle marquĂ©e par le sens de la mesure, la sĂ©rĂ©nitĂ©, le contentement, lâaccord avec soi-mĂȘme et avec le monde la sagesse dĂ©finit alors un idĂ©al pratique. Cette distinction entre la polaritĂ© thĂ©orique et la polaritĂ© pratique de la sagesse est purement spĂ©culative car les deux idĂ©aux sâimpliquent rĂ©ciproquement. Il est vain de croire que lâon puisse ĂȘtre sage sans ĂȘtre Ă©clairĂ© ou que lâon puisse exercer sa pensĂ©e avec rectitude dans la violence des passions ou le dĂ©rĂšglement de la conduite. Les Anciens avaient deux mots pour dĂ©signer les deux dimensions de la sagesse sophia pour le savoir ou sagesse thĂ©orique et phronĂ©sis pour la sagesse pratique ou prudence. A La sagesse comme idĂ©al thĂ©orique. Le recours Ă lâidĂ©e de sagesse ne va pas de soi lorsquâil est question du savoir car on oppose dâordinaire le savoir Ă lâignorance non Ă ce que connote lâabsence de sagesse, et que pour aller vite on qualifie parfois de fou ». Il sâensuit quâon a peine Ă croire que, comme il y a des conduites folles », il y a des pensĂ©es folles ». Or si lâon entend par lĂ le caractĂšre insensĂ©, aberrant, irrĂ©flĂ©chi, infondĂ© des reprĂ©sentations et du discours, il faut bien reconnaĂźtre que le manque de sagesse nâest pas le monopole des grands dĂ©lirants. Ceux-ci ont au moins lâavantage dâexhiber clairement la couleur mais on peut se demander sâils ne font pas que pousser Ă la limite un dĂ©sordre ne sĂ©vissant pas que dans lâenceinte de lâhĂŽpital psychiatrique. Car il ne suffit pas dâĂȘtre sain dâesprit pour ĂȘtre Ă lâabri de lâignorance, des aveuglements, de la bĂȘtise et de la bassesse et câest sans doute parce quâil a une conscience aiguĂ« de ce qui menace toujours lâexercice de lâesprit que le philosophe a une singularitĂ© parmi les siens. Il vit de la mĂȘme vie que tout le monde et pourtant il y a en lui une altĂ©ritĂ© irrĂ©ductible dont le prix est la solitude dans le meilleur des cas, la condamnation Ă mort dans celui de Socrate. Câest que le grand dĂ©tour qui se nomme philosophie change tout et dâabord la maniĂšre commune de penser. Comme tel, le philosophe est souvent vĂ©cu comme une offense vivante par tous ceux qui veulent se sentir au chaud dans leurs certitudes. Et ceux-ci ne se trompent pas. La pensĂ©e est dangereuse par nature. Elle est comme un grand vent qui balaie le confort intellectuel, subvertit les habitudes mentales, et toujours fait honte Ă la bĂȘtise et Ă la bassesse, pour reprendre une formule de paternitĂ© nietzschĂ©enne. Mais quâest-ce que cela signifie ? Pour sâen faire une idĂ©e prĂ©cise, il est urgent de comprendre ce que penser veut dire. 1 PensĂ©e immĂ©diate, pensĂ©e philosophique. Tous les hommes, du plus sauvage au plus civilisĂ©, Ă©tant porteurs dâun esprit, tous en font usage et si penser consistait seulement dans cet exercice, il faudrait dire que tous les hommes pensent. Tous, en effet, vivent dans un monde de significations et de valeurs. Le rĂ©el nâest pas pour eux une prĂ©sence muette, il est le corrĂ©lat du dĂ©voilement quâen opĂšrent la langue quâils parlent et la culture Ă laquelle ils appartiennent. Câest dire que tous visent du sens, se communiquent des significations et des valeurs structurant leur rapport au monde et celui quâils entretiennent entre eux. Parce quâil est parlant, lâhomme est un ĂȘtre pensant. En ce sens, la pensĂ©e nâest le monopole de personne, elle est le propre de lâhumaine condition, mĂȘme dans ses formes pathologiques car les paroles du malade mental, pour dĂ©lirantes quâelles soient, ne sont pas dĂ©nuĂ©es de sens. Et pourtant il ne suffit pas de faire usage de son esprit dans la parole pour penser vraiment. Lâenfant parle mais nul enfant nâest lâauteur dâune Ćuvre philosophique et pendant des millĂ©naires, des hommes ont vĂ©cu dans des sociĂ©tĂ©s ayant ignorĂ© ce que penser veut dire. Câest donc quâil y a une grande diffĂ©rence entre ce que lâon peut appeler la pensĂ©e immĂ©diate, spontanĂ©e et la pensĂ©e philosophique ou pensĂ©e tout court. Lâune se dĂ©ploie sous le signe de la passivitĂ©, lâautre sous celui de lâactivitĂ©. Lâune sâeffectue sous le signe de la dĂ©possession de la maĂźtrise spirituelle et morale, lâautre sous celui de la rĂ©appropriation de cette maĂźtrise. De fait, tant que ce que lâon pense est la caisse de rĂ©sonance de reprĂ©sentations ayant Ă©tĂ© construites Ă notre insu par lâĂ©ducation que nous avons reçue et par notre milieu culturel dâappartenance, il est erronĂ© de prĂ©tendre que nous sommes le sujet actif de nos pensĂ©es. Celles-ci ont Ă©tĂ© fabriquĂ©es, indĂ©pendamment de notre initiative intellectuelle par des instances extĂ©rieures dont nous sommes inconsciemment le jouet. Nous les avons absorbĂ©es avec le lait maternel au cours de notre dĂ©veloppement par le seul fait dâĂȘtre immergĂ© dans un contexte familial, social, historique et dâapprendre Ă parler une langue particuliĂšre, car aucune langue nâest un dĂ©codage neutre de la rĂ©alitĂ©. Toutes analysent le rĂ©el conformĂ©ment aux intĂ©rĂȘts, aux traditions, Ă la situation singuliĂšre de tel ou tel groupe. Il sâensuit que sous sa forme immĂ©diate, la pensĂ©e est moins de lâordre du pensĂ© que de lâimpensĂ©. Elle fonctionne Ă lâintĂ©rieur dâun systĂšme de reprĂ©sentations dont elle subit, sans en avoir conscience, le dĂ©terminisme idĂ©ologique. Aussi est-elle le porte-parole de significations dont elle est prisonniĂšre. Celles-ci ont tellement bien Ă©tĂ© intĂ©riorisĂ©es quâelles se sont solidifiĂ©es sous la forme dâhabitudes mentales sâimposant avec une telle Ă©vidence quâelles constituent des obstacles internes Ă lâactivitĂ© pensante. Câest dire quâon ne pense pas comme on respire et quâil ne suffit pas de disposer dâun esprit pour penser vraiment. Câest pourquoi la philosophie nâest pas une pensĂ©e au premier degrĂ©. La pensĂ©e vĂ©ritable sâaccomplit toujours comme pensĂ©e de la pensĂ©e câest-Ă -dire comme mouvement de retour de lâesprit sur lui-mĂȘme afin de soumettre ses productions Ă lâexamen rationnel. Elle sâactualise donc comme reprise critique de ce qui jusquâalors allait de soi. Elle marque le moment oĂč le sens cesse dâĂȘtre acceptĂ© comme sens reçu pour devenir un sens problĂ©matique. Elle constitue donc un point de rupture entre un avant et un aprĂšs, ce que Socrate soulignait en disant que la vie philosophique est une sorte de seconde naissance. Et cela vaut aussi bien pour lâhumanitĂ© en gĂ©nĂ©ral que pour lâhomme en particulier. Pour lâhumanitĂ© en gĂ©nĂ©ral, câest patent, si lâon prend acte que la philosophie nâa pas toujours existĂ©. Elle naĂźt Ă Milet en Asie Mineure au VIĂšme siĂšcle avant ce fait tĂ©moignant que lâaventure humaine nâest pas substantiellement liĂ©e Ă lâaventure philosophique. En revanche, elle lâest Ă la pensĂ©e religieuse ou mythologique qui, elle, est de toujours et de partout. Les hommes ont en effet toujours eu besoin de rendre intelligible leur expĂ©rience, de comprendre dâoĂč ils viennent, oĂč ils vont, de fonder les rĂšgles de leur existence collective, la fonction des rĂ©cits mythiques Ă©tant dâapporter une rĂ©ponse Ă leurs questions. La pensĂ©e mythique a ainsi prĂ©cĂ©dĂ© la pensĂ©e rationnelle. Comme la science et la philosophie, sa vocation a Ă©tĂ© de produire de lâintelligibilitĂ©. Elle a fourni Ă nos plus lointains ancĂȘtres les significations et les valeurs sans lesquelles aucune vie humaine nâest possible, et aux sociĂ©tĂ©s le ciment idĂ©ologique nĂ©cessaire Ă leur cohĂ©sion. Mais il est clair que ce mode de pensĂ©e, qui reste vivant pour une grande partie de lâhumanitĂ© encore, est fondamentalement diffĂ©rent du mode de pensĂ©e rationnel. Il fait une large place Ă lâimaginaire en lieu et place de la raison. Il fait intervenir dans ses explications la croyance en des ĂȘtres surnaturels dont les actions sont au principe des choses telles quâelles sont et telles quâelles doivent continuer Ă ĂȘtre sous peine de grands dĂ©sordres cosmiques et sociaux. Et surtout il a ceci de caractĂ©ristique que les rĂ©cits mythiques ne se prĂ©sentent pas comme des crĂ©ations humaines mais comme des rĂ©vĂ©lations divines recueillies par des initiĂ©s faisant autoritĂ© dans le groupe. Il sâensuit que le logos le discours rationnel est ce qui se construit Ă partir du muthos et en rupture avec lui, cette conquĂȘte allant de pair sur la scĂšne sociale avec de profondes transformations. Car tant que les significations sont transmises sur le mode dâune tradition sacrĂ©e, leur vĂ©ritĂ© ne se discute pas, pas plus que ne se discute le pouvoir des gardiens du temple qui les imposent. La soumission aux vĂ©ritĂ©s religieuses est soumission Ă une tutelle thĂ©ologico-politique dont on ne dira jamais assez quâil ne suffit pas dâĂȘtre porteur dâun esprit pour sâen libĂ©rer. Ce prĂ©jugĂ© idĂ©aliste contribue Ă mĂ©connaĂźtre que la capacitĂ© dâinitier un rapport critique aux vĂ©ritĂ©s communĂ©ment reçues est liĂ©e Ă des conditions historiques particuliĂšres. 2 Les conditions dâĂ©mergence de la pensĂ©e philosophique. a Conditions matĂ©rielles dâordre Ă©conomique. Dâabord il faut avoir bien conscience que tant que les ressources de lâesprit sont essentiellement engagĂ©es dans la rĂ©solution des problĂšmes pratiques les hommes ne sont pas libres pour faire de la recherche de la vĂ©ritĂ© une fin en soi. Ils nâen ont ni le temps ni la disponibilitĂ© dâesprit. Comme dit le proverbe Vivre dâabord, philosopher ensuite ». En ce sens, la philosophie est un luxe. Elle est liĂ©e, dâune part Ă la richesse dâune sociĂ©tĂ© capable de faire Ă©merger une classe dâhommes ayant la libertĂ© de se poser des problĂšmes thĂ©oriques, dâautre part Ă une organisation sociale inĂ©galitaire, car pour que certains disposent de ce loisir, il faut que dâautres travaillent pour pourvoir aux besoins de la vie. Câest une sociĂ©tĂ© esclavagiste, puisant dans le rĂ©servoir immense de ses colonies une main dâoeuvre utile Ă sa prospĂ©ritĂ©, qui a inventĂ© la philosophie. Il ne faut pas voir dans cette vĂ©ritĂ© historique dĂ©rangeante une souillure de lâactivitĂ© pensante, ni mĂȘme considĂ©rer que la valorisation de la vie thĂ©orĂ©tique par les Grecs est purement idĂ©ologique comme le prĂ©tendent ceux qui ne voient dans leurs valeurs que lâexpression et la justification dâune situation dâintĂ©rĂȘts. [On appelle idĂ©ologique tout systĂšme de reprĂ©sentations n'ayant de valeur thĂ©orique quâen façade et reflĂ©tant, inconscient de son propre dĂ©terminisme, un contexte socio-Ă©conomique qu'il a pour fonction de justifier]. Il me semble quâil faut plutĂŽt y voir le tĂ©moignage que les activitĂ©s utilitaires ont par nature un rapport Ă la servitude. Car avant dâĂȘtre un scandale social, lâaliĂ©nation matĂ©rielle est le propre de la condition humaine en tant quâelle est contrainte, par la nĂ©cessitĂ© oĂč elle se trouve de satisfaire les besoins animaux, de sâadonner Ă des tĂąches qui ne sont pas pour elle des fins en soi mais seulement les moyens de fins imposĂ©es par la nature, manger, se vĂȘtir, se loger, se protĂ©ger etc.. Elle est condamnĂ©e Ă rĂ©soudre le problĂšme de sa survie avant de poursuivre ses fins propres. Câest dire que si le lait et le miel coulaient Ă flots, elle Ă©chapperait au fardeau du travail. Celui-ci est donc le tribut que lâhumanitĂ© paye au fait quâelle participe de lâanimalitĂ©. Sâil nâen Ă©tait pas ainsi, si sa nature Ă©tait purement spirituelle, lâexistence se dĂ©ploierait dâemblĂ©e dans sa libertĂ© et les hommes se consacreraient aux activitĂ©s qui sont le propre dâun ĂȘtre libre. Les Grecs les appellent les activitĂ©s libĂ©rales, la plus excellente dâentre elles Ă©tant lâactivitĂ© pensante parce quâen philosophant lâhomme ne fait pas autre chose quâaccomplir la fonction qui le distingue de lâanimal et le dĂ©finit dans son humanitĂ©. Ainsi donc, si ce fut bien pour Ă©chapper Ă l'ignorance que les premiers philosophes se livrĂšrent Ă la philosophie, c'est qu'Ă©videmment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s'est passĂ© en rĂ©alitĂ© en fournit la preuve ; presque toutes les nĂ©cessitĂ©s de la vie, et les choses qui intĂ©ressent son bien-ĂȘtre et son agrĂ©ment avaient reçu satisfaction, quand on commença Ă rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement, nous n'avons dans notre recherche, aucun intĂ©rĂȘt Ă©tranger. Mais de mĂȘme que nous appelons libre celui qui est Ă lui-mĂȘme sa propre fin et n'existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libĂ©rale, puisque seule elle est Ă elle-mĂȘme sa propre fin » Aristote, MĂ©taphysique, Livre A, Tome1, Vrin, p. 9. b Condition politique. Il ne suffit pas nĂ©anmoins dâĂȘtre affranchi de la contrainte du travail pour avoir le loisir de penser. En tĂ©moigne le fait que de nombreuses sociĂ©tĂ©s antiques furent prospĂšres et pourtant elles nâont pas rendu possible lâapparition de la philosophie. Leur manquait la condition politique, celle qui fait de la possibilitĂ© dâexercer son esprit de maniĂšre autonome un droit inscrit dans le rapport politique. Car tant quâil est tabou » de mettre en doute les vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es, tant que lâexercice libre de lâesprit expose Ă la prison ou la mort, la libertĂ© de penser est un leurre. Certes elle peut ĂȘtre le privilĂšge de quelques favorisĂ©s des dieux, vouĂ©s Ă la clandestinitĂ©, mais il ne faut pas surestimer les capacitĂ©s dâun esprit solitaire. On ne pense pas seul. Câest lâĂ©change, la circulation des idĂ©es, leur discussion qui permet Ă chacun de faire un usage fĂ©cond de son entendement. La philosophie suppose donc une sociĂ©tĂ© dans laquelle les savants et les penseurs peuvent faire un usage public de la raison. Elle implique que les significations et des valeurs soient discutĂ©es dans un large dĂ©bat public. LĂ oĂč les esprits Ă©clairĂ©s sont condamnĂ©s au silence, lĂ oĂč une pensĂ©e unique se protĂšge par lâintimidation ou la terreur de toute entreprise critique, les esprits ne sont pas en situation de sortir de lâobscurantisme dans lequel on les enferme. Les LumiĂšres et leur progrĂšs sont donc affaire collective beaucoup plus quâaffaire personnelle. Comme lâĂ©crit Kant Mais penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec dâautres, qui nous font part de leurs pensĂ©es, et auxquels nous communiquons les nĂŽtres ? Aussi bien, lâon peut dire que cette puissance extĂ©rieure qui enlĂšve aux hommes la libertĂ© de communiquer publiquement leurs pensĂ©es, leur ĂŽte Ă©galement la libertĂ© de penser ». Quâest-ce que sâorienter dans la pensĂ©e ? Vrin, p. 86. Il sâensuit quâon se libĂšre collectivement de lâemprise des superstitions ou alors on reste massivement dans une situation de minoritĂ© intellectuelle et morale, imputable aux stratĂ©gies de domination de ceux qui cherchent Ă sauvegarder leur pouvoir mais aussi Ă la lĂąchetĂ© et Ă la paresse du plus grand nombre. Il nâest donc pas Ă©tonnant que la sociĂ©tĂ© qui a inventĂ© la philosophie soit aussi celle qui a inventĂ© la dĂ©mocratie. La philosophie est fille de la citĂ© » se plaĂźt Ă dire Jean-Pierre Vernant. Avec cette invention, lâhumanitĂ© se rĂ©approprie le pouvoir qui avait Ă©tĂ© jusquâalors confĂ©rĂ© aux dieux, Ă savoir le pouvoir dâinstituer son monde. Les hommes revendiquent le droit de dĂ©cider des rĂšgles de leur vie collective, de discuter de la loi, dâĂȘtre lâauteur de leur histoire. Cette rĂ©appropriation du pouvoir politique marque lâentrĂ©e des sociĂ©tĂ©s dans le rĂ©gime de lâhistoricitĂ©. Car tant que la source du sens et de la loi est lâinstance divine, les hommes nâont pas la libertĂ© dâĂȘtre les auteurs de leur aventure. Ils sont hĂ©tĂ©ronomes. Ils reçoivent leur loi dâen-haut ou dâailleurs. Câest lâinvisible qui rĂšgle le visible, le sacrĂ© qui rĂšgle le profane, lâanhistorique qui rĂ©git lâhistorique. Lâhomme archaĂŻque vit son histoire en lâannulant. Tous ses actes sont des rites de commĂ©moration, de participation, de rĂ©pĂ©tition du passĂ© fondateur. Comme lâĂ©crit Marcel Gauchet La religion, câest lâĂ©nigme de notre entrĂ©e Ă reculons dans lâhistoire » Le dĂ©senchantement du monde, Gallimard, 1985, En ce sens lâavĂšnement de la philosophie trace une frontiĂšre entre ce que lâon peut appeler avec Jan Patocka la condition prĂ©-historique » de lâhumanitĂ© et sa condition historique », celle qui a Ă©tĂ© ouverte par les Grecs. Histoire froide, stationnaire dâun cĂŽtĂ©, histoire chaude de lâautre. Modestie du sens reçu dans lâune, problĂ©maticitĂ© du sens interrogĂ© dans lâautre. LâactivitĂ© pensante ne va donc pas sans situation de crise. Crise du sens, Ă©branlement du sens reçu, effondrement des repĂšres traditionnels. Est-ce Ă dire que la philosophie sâaccomplisse comme anarchie intellectuelle et politique, triomphe des arbitraires individuels, nihilisme du sens, revendication dâune autonomie anomique ? Certes non, mais pour le comprendre, il importe de bien voir que les conditions matĂ©rielle et politique ne suffisent pas encore Ă rendre possible lâintentionnalitĂ© philosophique, il y faut aussi des conditions intellectuelles et morales. c Condition intellectuelle et morale. Conditions aussi difficiles Ă expliciter quâĂ mettre en oeuvre car, une fois les deux premiĂšres assurĂ©es, seule lâinitiative personnelle est en cause. Or rien nâest plus rare de la part des hommes quâun authentique esprit philosophique, rare et dangereux comme le montre le destin de Socrate. En 399 av. AthĂšnes condamne le philosophe Ă boire la ciguĂ«, et comme chacun sait, la citĂ© athĂ©nienne nâest ni une tyrannie, ni un totalitarisme, câest une dĂ©mocratie. Comment sâexpliquer une telle tragĂ©die ? Nâest-ce pas la preuve que si la libertĂ© politique est nĂ©cessaire pour penser librement, elle nâest pas suffisante ? Dâautres puissances dâaliĂ©nation sont Ă mettre hors-jeu, dâautres obstacles Ă surmonter, dâautant plus redoutables quâils ne sont pas externes, mais internes Ă la pensĂ©e. SpontanĂ©ment, en effet, chacun croit quâĂȘtre libre de penser consiste Ă penser ce que lâon veut. On confond volontiers la libertĂ© de la pensĂ©e avec la libertĂ© dâopinion. Or opiner nâest pas penser. Tous les hommes ont des opinions mais peu dâhommes pensent. VoilĂ un paradoxe qui en surprend plus dâun car autant les hommes ont plaisir Ă sâentendre dire quâils sont libres de penser, autant il leur est pĂ©nible dâavoir Ă sâaffranchir de ce qui rend cette libertĂ© illusoire. Ils croient naĂŻvement que la libertĂ© de lâesprit est une donnĂ©e alors quâelle est une conquĂȘte. En tĂ©moignent les attentes des lycĂ©ens rentrant en classe de philosophie. Ils en espĂšrent avant tout des satisfactions narcissiques. Enfin lâoccasion va leur ĂȘtre donnĂ©e, comme dans un cafĂ© philosophique, de pouvoir exprimer leurs opinions, dâĂȘtre pris en sĂ©rieux dans ce quâils imaginent ĂȘtre leur pensĂ©e personnelle ». Et quelle nâest pas leur dĂ©ception, voire leur irritation lorsque, confrontĂ©s au professeur de type socratique, ils sont mis en demeure dâexaminer ce quâils disent et de dĂ©couvrir souvent que leur propos ne rĂ©siste pas Ă lâĂ©tamine de la raison ! Câest donc que lâacte de penser obĂ©it Ă certaines exigences. Quelles sont-elles ? VoilĂ ce quâil faut maintenant approfondir pour prendre la mesure de la conversion intellectuelle et morale quâimplique lâactivitĂ© pensante. Car celle-ci ne se dĂ©ploie pas comme un mouvement naturel. Penser, en effet, câest sâarrĂȘter. Voyez le penseur du sculpteur Rodin. Lâartiste figure dans cette statue, par contraste avec celle qui reprĂ©sente lâhomme qui marche, lâopĂ©ration mĂȘme de la pensĂ©e. Il donne Ă voir ce qui nâa pas de visibilitĂ© car, sâagissant dâun processus spirituel, celui-ci ne se dĂ©ploie pas, comme le geste physique, dans lâextĂ©rioritĂ© perceptible. Et pourtant il est liĂ© Ă une posture corporelle. Le penseur est en arrĂȘt, repliĂ© sur soi, comme sâil Ă©tait mis en situation de changer la direction de son regard, de lâorienter dans une autre direction. Non plus expansion et extĂ©riorisation existentielle mais retour sur soi et dĂ©ploiement des potentialitĂ©s de lâintĂ©rioritĂ© spirituelle. Lâacte par lequel la pensĂ©e se pose dans sa libertĂ© et advient Ă lâexistence est ainsi insĂ©parable dâune certaine attitude mentale dĂ©finissant en propre lâĂ©veil philosophique. Voyons ce qui le caractĂ©rise. 3 Les caractĂšres de lâesprit philosophique. a La facultĂ© de sâĂ©tonner. Un sujet pensant est un ĂȘtre renouant avec une vertu de lâenfance consistant Ă poser un regard Ă©tonnĂ© sur le monde. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutĂŽt que rien ? Pourquoi les choses sont-elles ainsi et pas autrement ? LâĂ©tonnement est le contraire de lâinertie intellectuelle, celle qui finit par triompher des questions en leur substituant le confort des rĂ©ponses reçues. Car lâenfant est Ă la fois celui qui interroge avec la vivacitĂ© dâun esprit curieux, et celui qui fait confiance Ă lâautoritĂ© lui fournissant la rĂ©ponse. Il est crĂ©dule, cette crĂ©dulitĂ© ayant tĂŽt fait de lâendormir et dâen faire une proie facile pour tous les endoctrinements idĂ©ologiques. LâĂ©veil intellectuel a ceci de singulier quâil fait retrouver la disponibilitĂ© de lâenfance au questionnement tout en rompant avec sa naĂŻvetĂ© et sa passivitĂ©. Les rĂ©ponses communes ne sont plus ce qui le clĂŽt, elles sont au contraire ce qui le suscite. Surtout quand on prend acte de leur multiplicitĂ© et de leur diversitĂ©. Nâest-il pas Ă©tonnant que les rĂ©ponses des hommes Ă des questions identiques soient si diffĂ©rentes ? Comment ne pas ĂȘtre interpellĂ© par lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© et les contradictions des reprĂ©sentations humaines ? Le philosophe EpictĂšte disait, en ce sens, que ce qui initie lâeffort de penser est moins lâĂ©nigme du monde que les contradictions des opinions humaines prĂ©tendant la rĂ©soudre. VoilĂ le dĂ©but de la philosophie. Toutes les opinions sont-elles justes? Comment pourraient-elles l'ĂȘtre si elles se contredisent? â Toutes ne sont donc pas justes, mais du moins celles qui sont les nĂŽtres â Et pourquoi celles-ci plutĂŽt que celles des Syriens ou des Egyptiens? Pourquoi les miennes plutĂŽt que celles de tel ou tel ? â Pas plus les unes que les autres ». Entretiens, II, XI. SâĂ©tonner revient donc Ă rompre avec le familier, autrement dit Ă faire lâexpĂ©rience que ce qui jusquâalors allait de soi a perdu pour nous son Ă©vidence. ExpĂ©rience vertigineuse parfois. Les grands auteurs ne cachent pas quâil y a dans cette prise de conscience un vĂ©cu dĂ©stabilisant, angoissant. La tentation est grande de se dĂ©rober Ă la tĂąche ainsi initiĂ©e. Retrouver la quiĂ©tude du sens reçu plutĂŽt que sâengager dans lâaventure de la recherche de la vĂ©ritĂ©. Celle-ci requiert du courage et dâabord celui de cesser de sâaliĂ©ner dans des contenus de pensĂ©e consacrant son hĂ©tĂ©ronomie pour examiner avec ses seules ressources ce quâil en est de leur prĂ©tention Ă la vĂ©ritĂ©. Est-ce par paresse et par lĂąchetĂ©, comme lâanalyse Kant, que la plupart des hommes nâassument pas cette responsabilitĂ© de lâesprit ? Ils renoncent Ă se servir de leur entendement et semblent se complaire dans leur minoritĂ© intellectuelle. Que cette complaisance soit de rigueur dans un contexte social oĂč la pluralitĂ© des opinions nâa pas droit de citĂ©, on peut encore le comprendre. Mais que la nĂ©cessitĂ© de distinguer le vrai du faux ne se fasse pas impĂ©rativement sentir lĂ oĂč sâexpriment les opinions les plus diverses et les plus contradictoires, voilĂ qui laisse perplexe. Comment est-il possible que les hommes sâaccommodent si bien de la contradiction des rĂ©ponses donnĂ©es Ă leur question ? Comment peuvent-ils dire de la mĂȘme chose, considĂ©rĂ©e sous le mĂȘme rapport une chose et son contraire, sans que cette inconsĂ©quence ne les dĂ©range ? Il y a lĂ un double scandale pour lâesprit Dâabord celui quâincarne le conflit des opinions. Impossible de sâen satisfaire si lâon est un esprit qui se respecte car le principe de non contradiction et le souci de la vĂ©ritĂ© sont des exigences essentielles de la raison humaine. Deux propositions contradictoires ne peuvent ĂȘtre simultanĂ©ment valides. La nĂ©cessitĂ© de les soumettre Ă lâexamen rationnel sâimpose afin de sortir de la contradiction et de faire triompher la vĂ©ritĂ©. Pourquoi donc si peu dâhommes se sentent tenus de procĂ©der Ă cet examen ? Cela signifie-t-il que la majoritĂ© a renoncĂ© Ă toute prĂ©tention Ă la vĂ©ritĂ© ? Car si vĂ©ritĂ© il peut y avoir, elle ne saurait varier dâun individu Ă un autre, dâune Ă©poque Ă une autre, dâun groupe Ă un autre. LĂ oĂč il y a plusieurs vĂ©ritĂ©s, la cohĂ©rence veut quâil nây ait pas de vĂ©ritĂ© du tout. Alors, la complaisance de la plupart des hommes Ă lâendroit du conflit des opinions tĂ©moigne-t-elle quâils ont fait le deuil de la vĂ©ritĂ© ? Nullement et câest le second scandale. Celui que reprĂ©sente lâinconsĂ©quence humaine Ă revendiquer la vĂ©ritĂ© pour des Ă©noncĂ©s nâayant aucune lĂ©gitimitĂ© Ă une telle prĂ©tention. Car comment puis-je savoir si ce que je dis est vrai tant que je nâai pas pris la peine dâexaminer si jâai raison de le croire ? Or tel est le propre de ce que les Grecs appellent la doxa, ou de ce que nous traduisons par lâopinion. Est opinion, toute affirmation nâayant pas Ă©tĂ© soumise Ă un examen critique. Elle est reçue comme vraie sans que lâesprit ne se soit prĂ©occupĂ© sĂ©rieusement de savoir si cet Ă©noncĂ© est vrai ou faux. Toutes nos idĂ©es premiĂšres sont en ce sens des opinions, câest-Ă -dire des prĂ©jugĂ©s, des a priori », des idĂ©es toute faites. On les croit vraies mais on ne sait pas si on est fondĂ© Ă le croire. On ne peut donc pas les Ă©tayer sur de solides raisons thĂ©oriques, et pourtant elles nâen sont pas moins certaines pour celui qui les Ă©nonce. Etrange paradoxe moins une idĂ©e est interrogĂ©e dans sa valeur de vĂ©ritĂ©, plus elle revĂȘt le prestige de la vĂ©ritĂ© pour son adepte. Lâopinion est dogmatique par nature. Or le pire ennemi de lâesprit, ce nâest pas lâerreur, câest le dogme. Retrouver la facultĂ© de sâĂ©tonner revient donc Ă se rĂ©veiller dâune sorte de sommeil dogmatique et Ă devenir disponible pour une vĂ©ritable recherche de la vĂ©ritĂ©. Câest Ă cette tĂąche que sâemploie Socrate dans son rapport Ă ses concitoyens. Par la pratique de lâironie, feinte naĂŻvetĂ©, il sâefforce de dĂ©stabiliser ses interlocuteurs afin de leur rendre une libertĂ© quâils ont perdue. Ils sont tellement persuadĂ©s de possĂ©der la rĂ©ponse aux questions que Socrate leur pose quâils ne prennent pas le temps de les rĂ©flĂ©chir. Ils sont prisonniers dâun pseudo-savoir que lâinterrogation socratique fait Ă©clater en les confrontant Ă leurs contradictions. Ce faisant, ils prennent conscience de leur ignorance et peuvent initier la conversion intellectuelle et morale dont on a parlĂ© prĂ©cĂ©demment. De fait, dĂšs lors quâon sâĂ©tonne Ă nouveau, et dâabord de sa propre inconsĂ©quence, on transforme radicalement son rapport au vrai et aux autres. On nâest plus, avec eux, dans une stratĂ©gie de pouvoir, oĂč lâenjeu est de leur imposer une vĂ©ritĂ© dont on se croit titulaire. Il sâagit, Ă partir dâune inscience enfin consciente dâelle-mĂȘme, de se disposer Ă chercher ensemble la vĂ©ritĂ© qui nous manque. Moment libĂ©rateur de la mission socratique. Comme une torpille, elle paralyse mais comme le taon elle rĂ©veille. Il faut bien balayer le faux pour rendre possible lâĂ©piphanie du vrai. Et cela passe par la mise en Ćuvre dâun second caractĂšre de lâesprit philosophique. b Esprit de doute. Douter consiste Ă cesser de subir lâempire dâune certitude. Servitude intĂ©rieure, la certitude lâest car elle est lâĂ©tat dâun esprit qui adhĂšre Ă un contenu de pensĂ©e quâil croit ou quâil sait ĂȘtre vrai. Un esprit absolument certain de quelque chose est privĂ© de toute possibilitĂ© de recul pour examiner la valeur de lâĂ©noncĂ© qui le tient autant quâil y tient. Rien nâest pire que lâadhĂ©sion massive, sans rĂ©serve, sans pensĂ©e de derriĂšre » dirait Pascal. Plus de jeu entre la pensĂ©e et son contenu. Plus de libertĂ©. Ce rapport aux idĂ©es est le propre du fanatisme, du sectarisme typique des engagements idĂ©ologiques. On ne peut pas discuter avec les esprits certains. Soit on les conforte dans leurs convictions, soit on les ignore, ou lâon se bat pour les empĂȘcher dâimposer socialement leur point de vue. La violence inhĂ©rente Ă la conviction dĂ©truit les conditions de possibilitĂ© dâun vrai dialogue entre les hommes de telle sorte que la capacitĂ© de sâarracher Ă ses malĂ©fices est la premiĂšre victoire de lâesprit sur lui-mĂȘme. Il nây a que les sots et les huĂźtres qui adhĂšrent » disait ValĂ©ry pour pointer lâampleur de lâaliĂ©nation consubstantielle Ă cette maniĂšre de se rapporter aux significations et aux valeurs. VoilĂ pourquoi lâacte fondateur de la philosophie est pour Descartes la pratique mĂ©thodique du doute. Il y a dĂ©jĂ quelque temps, Ă©crit-il, que je me suis aperçu que, dĂšs mes premiĂšres annĂ©es, jâavais reçu quantitĂ© de fausses opinions pour vĂ©ritables, et que ce que jâai depuis fondĂ© sur des principes si mal assurĂ©s, ne pouvait ĂȘtre que fort douteux et incertain ; de façon quâil me fallait entreprendre sĂ©rieusement une fois en ma vie de me dĂ©faire de toutes les opinions que jâavais reçues en ma crĂ©ance, et commencer tout de nouveau dĂšs les fondements, si je voulais Ă©tablir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences ». MĂ©ditations mĂ©taphysiques. I. 1641. Quâil sâagisse de Socrate avec lâironie, de Descartes avec le doute ou de Kant avec le projet critique, lâexigence de la pensĂ©e sâactualise toujours comme entreprise dâaffranchissement de ce qui procĂšde en elle dâune autre autoritĂ© que celle de lâesprit pour fonder Ă nouveau frais ce quâelle peut tenir pour vrai. Cela ne signifie pas que le balai de la pensĂ©e soit destructeur par principe comme si dans les croyances humaines, rien ne pouvait ĂȘtre justifiĂ© par des arguments rationnels. Le doute ne prĂ©juge pas de la vĂ©ritĂ© ou de lâerreur de ce qui est mis en doute. Il se peut quâau terme de lâexamen, la vĂ©ritĂ© de lâĂ©noncĂ© rĂ©siste mais alors elle se fonde sur dâautres raisons que celles qui fondent lâopinion. Dâordinaire ce qui fait la force de cette derniĂšre, câest lâhabitude lâhabitus au sens de Bourdieu, le prestige du nombre nous sommes ainsi faits que les opinions partagĂ©es par le plus grand nombre nous semblent vraies, celui de lâautoritĂ© pour lâenfant, lâĂ©lĂšve, le membre dâune Ă©glise, les idĂ©es reçues des parents, des professeurs ou des savants, du pape, de lâimam ou du rabbin ont une valeur de vĂ©ritĂ©. Or ce nâest pas parce quâon a toujours pensĂ© cela que câest vrai, ce nâest pas parce quâune erreur est partagĂ©e par le plus grand nombre quâelle devient une vĂ©ritĂ©, ce nâest pas parce quâ Aristote a dit » que câest vrai. Encore faut-il sâen assurer par lâexamen rationnel au terme duquel la vĂ©ritĂ© sera thĂ©oriquement Ă©tablie ou la faussetĂ© dĂ©masquĂ©e. Il sâensuit quâune vĂ©ritĂ© thĂ©oriquement Ă©tayĂ©e est autre chose quâune vĂ©ritĂ© dâopinion. Distinction subtile Ă©tablissant que ce qui fait le caractĂšre doxique d'une affirmation, ce n'est pas son contenu, qui peut avoir une valeur de vĂ©ritĂ© Cf. ThĂšme de lâopinion droite chez Platon, c'est le rapport que celui qui la formule entretient avec elle. Il est incapable de la fonder rationnellement. LâĂ©tonnement, le doute ne sont pas des fins en soi. Ce sont des dispositions intellectuelles nĂ©cessaires pour sâengager sur le chemin de la connaissance, câest-Ă -dire pour conduire un vĂ©ritable examen. c Esprit dâexamen rĂ©flexivitĂ©. Examen », le mot a souvent Ă©tĂ© prononcĂ© mais il ne suffit pas de dire le mot pour ĂȘtre au clair sur ce quâil dĂ©signe. Comment sây prendre pour conduire un examen digne de ce nom ? Cela exige de procĂ©der Ă une opĂ©ration de rĂ©flexion au sens optique du terme. Comme le rayon lumineux est renvoyĂ© dans une autre direction par la rencontre dâun obstacle, rĂ©flĂ©chir, pour la pensĂ©e, câest faire retour sur elle-mĂȘme, afin de se prendre pour objet et de sâassurer par lĂ la maĂźtrise de ses opĂ©rations. LĂ est lâenjeu de lâeffort rĂ©flexif. Restaurer lâesprit dans le rĂŽle qui devrait ĂȘtre le sien celui dâĂȘtre au fondement de ses actes, dâen ĂȘtre lâauteur et le juge. Commencer tout de nouveau dĂšs les fondements, si je voulais Ă©tablir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences » dit Descartes. Par exemple, dĂšs que nous parlons nous faisons surgir du sens mais la raison, en nous, peut-elle consentir Ă ce sens ? Est-il sensĂ© ou absurde, justifiable ou non ? Seule la rĂ©flexion fait accĂ©der Ă lâintelligence de ce que lâon dit vraiment. Il en est de mĂȘme pour les valeurs. DĂšs que nous parlons nous faisons usage de notions supposant des valorisations. Bien/mal, beau/ laid, juste/injuste, utile/inutile etc., la parole commune est saturĂ©e de ces distinctions mais quelle est la valeur des valeurs que nous Ă©nonçons? La raison peut-elle les faire siennes ? Se confirme ici ce qui a dĂ©jĂ Ă©tĂ© prĂ©cisĂ© la pensĂ©e philosophique nâest pas une pensĂ©e au premier degrĂ©. La pensĂ©e au premier degrĂ© est une absence de pensĂ©e ou un impensĂ© entretenant un rapport imaginaire Ă lui-mĂȘme. Nous croyons ĂȘtre lâauteur, le sujet autonome de nos discours. La rĂ©flexion nous fait prendre conscience que câest une illusion. DĂšs que nous sommes attentifs aux actes de lâesprit pour en interroger le fondement et la lĂ©gitimitĂ©, nous dĂ©couvrons que le sujet du discours non rĂ©flĂ©chi est loin dâĂȘtre le sujet rationnel. Pourquoi ? Parce que celui-ci nâest pas immĂ©diatement en possession de lui-mĂȘme. Bien que la raison soit une facultĂ© naturelle, elle nĂ©cessite des apprentissages pour ĂȘtre dĂ©veloppĂ©e. Ce nâest pas par hasard que Platon avait fait inscrire au fronton de lâAcadĂ©mie Nul nâentre ici sâil nâest gĂ©omĂštre ». Il signifiait par lĂ quâon ne rompt pas avec le doxique par un coup de baguette magique. Si lâon entend par sujet rationnel, le sujet respectant, dans lâexercice de lâesprit, les principes de la raison Ex principes logiques dâidentitĂ©, de non contradiction, principes rationnels de raison suffisante, il convient dâabord dâĂȘtre soumis Ă la dure Ă©cole des mathĂ©matiques pour faire lâexpĂ©rience quâon ne peut pas dire nâimporte quoi, que la raison a sa nĂ©cessitĂ© et que seul celui qui sây conforme conduit avec rectitude son raisonnement. Les mathĂ©matiques sont une discipline oĂč lâon apprend Ă ne pas tricher avec la raison. Elles nous inclinent Ă nous mĂ©fier de lâimagination, des impressions sensibles et surtout elles nous rĂ©vĂšlent la dimension universelle de la raison. Le thĂ©orĂšme de Pythagore ne dĂ©pend pas de lâarbitraire de son inventeur, ni de contingences historiques ou culturelles. Il a une nĂ©cessitĂ© et une universalitĂ© qui est celle de la raison, facultĂ© commune Ă tous les hommes pour autant quâils ont Ă©tĂ© formĂ©s Ă ses exigences. Câest dire quâon ne peut attendre des hommes une vĂ©ritable rĂ©flexion philosophique en lâabsence dâune formation intellectuelle trĂšs rigoureuse. Dans la prĂ©sentation que Platon fait du chemin de la connaissance dans lâimage de la ligne RĂ©publique, 510 a la sphĂšre de lâintelligible est divisĂ©e en deux parties dont la premiĂšre est la connaissance dianoĂ©tique mathĂ©matiques et ce que nous appelons les sciences aujourdâhui. La dialectique ou philosophie ne vient quâaprĂšs. Le philosophe considĂ©rait quâon ne peut sây consacrer quâĂ lâĂąge de la maturitĂ© et solidement armĂ© sur le plan intellectuel et moral. En lâabsence de ces prĂ©requis, lâexamen philosophique risque de nâĂȘtre quâun jeu stĂ©rile pour des adolescents prompts Ă dĂ©grader la critique philosophique en critique pour la critique, dont lâenjeu nâest plus le souci de la vĂ©ritĂ© mais lâaffirmation de soi-mĂȘme. Il faut, dit-il, donner aux adolescents et aux enfants une Ă©ducation et une culture appropriĂ©es Ă leur jeunesse ; prendre grand soin de leur corps Ă lâĂ©poque oĂč il croĂźt et se forme, afin de le prĂ©parer Ă servir la philosophie, puis quand lâĂąge vient oĂč lâĂąme entre dans sa maturitĂ©, renforcer les exercices qui lui sont propres » RĂ©publique, 498c. Ainsi les Ă©duque-t-on pour assumer les responsabilitĂ©s sociales obligations politiques et militaires qui diffĂ©rent encore le temps de sâadonner Ă la philosophie, car celle-ci suppose non seulement la formation mais aussi lâexpĂ©rience et surtout un esprit libĂ©rĂ© de tout autre prĂ©occupation que celle de la recherche de la vĂ©ritĂ© Cf. La notion dâactivitĂ© libĂ©rale. La pĂ©dagogie platonicienne ne sĂ©pare donc pas la formation intellectuelle de la formation morale car en un sens profond, qui ne nous est plus du tout familier, les vertus intellectuelles sont solidaires de la vertu morale. En effet, ce qui empĂȘche lâesprit de sâexercer selon sa nĂ©cessitĂ© propre, renvoie Ă la domination, en nous, dâune dimension de notre ĂȘtre encline Ă subvertir notre raison. Cette dimension est la dimension sensible. Avant dâĂȘtre un ĂȘtre de raison, nous sommes un ĂȘtre sensible. Nous sommes un corps au sens large et il est bien vrai que celui-ci rend impossible un rapport de transparence au vrai Cf. ThĂšme platonicien du corps tombeau ou prison de lâĂąme. Le rĂ©el est rĂ©fractĂ© sur le mur de nos sens, de notre particularitĂ© empirique avec ses dĂ©terminations sexuelles Ex homme ou femme, sociales Ex prolĂ©taire ou grand bourgeois ; riche ou pauvre, historiques Ex homme antique ou homme moderne, idĂ©ologiques Ex gauche ou droite, modĂ©rĂ© ou extrĂ©miste, religieuses Ex chrĂ©tien ou musulman ou bouddhiste, etc.. Nous avons des dĂ©sirs, des passions, des intĂ©rĂȘts et il suffit dâobserver les hommes pour sâapercevoir quâils utilisent leur esprit au service de la justification et de la satisfaction de ces dĂ©sirs, passions ou intĂ©rĂȘts. Ils raisonnent donc beaucoup mais la logique quâils mettent en Ćuvre est une logique passionnelle. Ils nâutilisent pas leur raison pour examiner si les dĂ©finitions sur lesquelles se fondent leur discours tiennent rationnellement la route, ou si les croyances quâils dĂ©fendent ont une cohĂ©rence et une lĂ©gitimitĂ©. Ils lâutilisent pour prouver une vĂ©ritĂ© posĂ©e extĂ©rieurement Ă la raison par une instance hĂ©tĂ©rogĂšne Ă sa nature dĂ©sir, intĂ©rĂȘt, parti pris confessionnel, situation de classe etc.. La raison est donc aveuglĂ©e et aliĂ©nĂ©e. Elle nâest pas libre pour un exercice autonome car elle est instrumentalisĂ©e. Cette instrumentalisation de la raison, au service de fins ou de principes rĂ©vĂ©lant la toute-puissance de notre part irrationnelle est proprement immorale pour le philosophe. Pour lui, la raison est ce qui fait la dignitĂ© de lâhomme et ce quâil doit honorer pour respecter sa propre humanitĂ©. Mais cela passe par un travail de soi sur soi consistant dans une ascĂšse. Sâaffranchir intĂ©rieurement de ce qui nous maintient prisonnier, libĂ©rer lâĆil de lâĂąme de la prison du corps pour reprendre les mĂ©taphores platoniciennes. Platon parle de purification, de catharsis. OpĂ©ration douloureuse dont il ne cache pas quâelle suppose de bonnes dispositions naturelles. Si nature nâaide pas un peu, dirait Montaigne, il est vain de croire que cette tĂąche soit Ă la portĂ©e des hommes. Socrate sâemployait avec lâironie Ă la rendre possible. En confrontant ses interlocuteurs Ă leurs contradictions, il dĂ©masquait la vĂ©ritĂ© de lâopinion qui consiste Ă confondre le vrai avec ce quâil nous est utile, avantageux ou plaisant de croire tel. Il mettait en Ă©vidence que lâempire de la doxa est lâempire en chacun de nous de ce quâil faut mettre hors-jeu pour commencer Ă comprendre ce que penser veut dire. Mais le sens de lâironie nâest pas Ă©puisĂ© par cette fonction critique. Elle est insĂ©parable de la maĂŻeutique câest-Ă -dire dâune stratĂ©gie dont lâenjeu est de rĂ©vĂ©ler chacun Ă la vĂ©ritĂ© de lui-mĂȘme. Il sâagit de dĂ©couvrir quâon est une Ăąme, que celle-ci est la seule autoritĂ© Ă respecter et que rendue Ă la maĂźtrise dâelle-mĂȘme, elle est le temple de la vĂ©ritĂ©. VoilĂ pourquoi il comparaĂźt son art Ă celui de sa mĂšre PhĂ©narĂšte. Comme elle accouchait les corps en sa qualitĂ© de sage-femme, il est un accoucheur des esprits. Inutile de prĂ©ciser quâon rencontre ici la condition la plus difficile Ă rĂ©aliser. Câest elle qui trace la frontiĂšre entre un authentique esprit philosophique et des esprits trĂšs puissants intellectuellement mais Ă©trangers Ă lâintentionnalitĂ© philosophique. Ces esprits trĂšs puissants, jouissant sur la scĂšne sociale dâun pouvoir redoutable sâappelaient, Ă lâĂ©poque de Socrate, les sophistes. Protagoras, Gorgias, Hippias, Prodicos, Thrasymaque, etc. dont les noms sont familiers Ă tout lecteur de lâĆuvre platonicienne sont des grands reprĂ©sentants de la pensĂ©e sophistique. Tous sont Ă©trangers Ă AthĂšnes oĂč ils sâinstallent pĂ©riodiquement pour enseigner en se faisant payer trĂšs cher leurs leçons. Socrate fut accusĂ© dâĂȘtre lâun des leurs, et pourtant, tel que Platon le prĂ©sente dans ses Dialogues, il dramatise lâopposition radicale de la philosophie et de la sophistique. Ce qui nous conduit Ă souligner quâhistoriquement la philosophie Ă©merge dâune double rupture Au VIĂšme siĂšcle av. comme on lâa dĂ©jĂ vu, avec lâĂ©cole de Milet Pythagore, Anaximandre, AnaximĂšne, dâune rupture avec la pensĂ©e mythologique. Au VĂšme siĂšcle av. avec Socrate, dâune rupture avec la pensĂ©e sophistique. 4 PensĂ©e sophistique-pensĂ©e philosophique. Lâenseignement des Sophistes est difficile Ă unifier. Jaeger souligne que tous ont un point commun, tous professaient lâarĂ©tĂȘ la vertu politique, et tous souhaitaient lâinculquer en augmentant les capacitĂ©s intellectuelles par lâexercice â quelle que soit la façon dont celui-ci Ă©tait compris ». Paideia. §3 du L. II. On a dit, prĂ©cise-t-il encore quâils furent les fondateurs de la science Ă©ducative. Ils créÚrent en effet la pĂ©dagogie et, de nos jours encore, la culture intellectuelle suit dans une large mesure les voies quâils ont tracĂ©es » Ibid. En un certain sens, ils sont les fondateurs de lâhumanisme. Câest trĂšs clair dans le rĂ©cit du mythe de PromĂ©thĂ©e que Platon fait prononcer par Protagoras dans le dialogue Ă©ponyme. Protagoras montre que la nature de lâhomme est de produire de la culture grĂące Ă son intelligence technicienne et morale. DâoĂč la nĂ©cessitĂ© de dĂ©velopper les compĂ©tences polytechniciennes, ce Ă quoi sâemploie le sophiste Hippias dont lâobjectif est sans doute, contre la caricature quâen fait Platon dans Hippias min., dâenseigner les rĂšgles gĂ©nĂ©rales des arts art = savoir-faire. NĂ©cessitĂ© aussi dâexploiter les ressources de la parole car le langage est lâinstrument de la pensĂ©e et la parole, le moyen par lequel les hommes exercent un empire les uns sur les autres. Gorgias, par exemple, raconte que si lâart de son frĂšre mĂ©decin est de faire un diagnostic et de prescrire un traitement, câest son art Ă lui de persuader le patient dâĂ©couter les conseils de celui qui possĂšde la science. Et Ă lâAssemblĂ©e du peuple, si lâexpert militaire ou juridique nâa pas dâĂ©loquence, le dĂ©magogue, expert en art oratoire, aura tĂŽt fait dâemporter les suffrages. LâĂ©ducation sophistique repose donc Ă la fois sur lâaccent mis sur les techniques et sur la parole, les deux attributs de la nature humaine. Platon est dâune extrĂȘme sĂ©vĂ©ritĂ© avec la paideia Ă©ducation sophistique. Il accuse, dans Le Sophiste, ces maĂźtres dâun nouveau genre dâĂȘtre des faiseurs de prestiges ». Le procĂšs porte sur deux points essentiels. Dâune part sur lâidĂ©e que le sophiste sait parler dâun art mais ne le possĂšde pas, dâautre part sur lâidĂ©e que le logos a une autre vocation que celle que lui assignent les sophistes. Platon leur reproche avant tout dâĂȘtre des faiseurs dâopinion et sous le nom dâĂ©ducation de ne pas se prĂ©occuper dâune authentique Ă©ducation intellectuelle et morale. Le diffĂ©rend apparaĂźt clairement dans lâopposition Protagoras â Socrate. Mais tous les dialogues platoniciens mettent en scĂšne lâaltĂ©ritĂ© de deux maniĂšres de concevoir lâhomme et sa vocation. LĂ est le point essentiel oĂč lâesprit philosophique sâaffirme dans son originalitĂ© au risque dâĂȘtre incompris de la plupart. Car aujourdâhui, comme hier, les hommes se sentent plus chez eux en compagnie de Protagoras que de Socrate et dans le conflit opposant lâun Ă lâautre, câest Protagoras qui a gagnĂ©. Quâenseignait donc ce dernier pour ĂȘtre si typique de notre modernitĂ© ? Il soutenait que lâhomme est la mesure de toutes choses ». Si cette affirmation voulait dire quâil nây a pas dâautre autoritĂ© que la raison humaine pour dĂ©cider ce quâil en est du vrai et du faux, du bien et du mal, du juste et de lâinjuste, ce nâest pas Socrate qui sâen plaindrait. Sa mission nâest-elle pas de la restaurer dans ses droits Ă la critique et Ă lâĂ©tablissement de la vĂ©ritĂ© ? Mais voilĂ , lorsque Socrate parle de la raison, il pense Ă tout autre chose que ce quâentend par lĂ le sophiste. Pour ce dernier, la raison est une facultĂ© subordonnĂ©e. Elle nâest quâun simple moyen dâargumentation et de raisonnement au service des passions et des intĂ©rĂȘts des uns et des autres. Pour Socrate, bien loin de nâĂȘtre que ce vulgaire outil, elle est une instance sui generis, une facultĂ© des principes et des fins dont lâhomme doit respecter les exigences pour se porter Ă la hauteur de la dignitĂ© quâelle lui confĂšre. Lâhomme, câest lâĂąme », dit-il, pour signifier que la raison dĂ©finit une dimension de supĂ©rioritĂ© ontologique irrĂ©ductible Ă la dimension empirique dans laquelle Protagoras prĂ©tend circonscrire lâhumaine nature. Lâalternative est ici sans Ă©quivoque Pour lâun, lâhomme nâest quâune rĂ©alitĂ© phĂ©nomĂ©nale parmi dâautres, rĂ©gie par lâensemble des lois qui le dĂ©terminent, lâexercice de la raison nâĂ©chappant pas Ă cette dĂ©termination ; pour lâautre, il a une spĂ©cificitĂ© mĂ©taphysique et morale dont la raison est prĂ©cisĂ©ment le signe. Dans un cas, il nâest rien dâautre quâun ĂȘtre rĂ©duit Ă sa particularitĂ© empirique, celle de son sexe, de son tempĂ©rament, de sa classe sociale, de sa situation historique, dans lâautre il est dotĂ© de la capacitĂ© de transcender ces limites pour ouvrir un horizon dâuniversalitĂ©. Car si la particularitĂ© empirique est indĂ©passable chacun est condamnĂ© Ă voir le monde Ă travers son prisme, et la raison nâayant pas dâautonomie possible, il faut renoncer Ă lâidĂ©e dâune vĂ©ritĂ© universelle et Ă©ternelle. Il y a autant de maniĂšres de se reprĂ©senter les choses que de sujets parlants, autant de rĂ©els que de sujets qui sâen emparent. A chacun sa vĂ©ritĂ©. Le conflit des opinions est un destin. Comme le dit le proverbe Des goĂ»ts et des couleurs, on ne discute pas ». Protagoras dĂ©fend donc lâoption subjectiviste et relativiste en matiĂšre de vĂ©ritĂ©. Tout au plus est-il permis de dire que certaines idĂ©es sont plus utiles que dâautres par rapport aux besoins ou aux intĂ©rĂȘts majoritaires. Sâil en est ainsi, la tĂąche des hommes nâest pas de chercher la vĂ©ritĂ©, de sâappliquer Ă discriminer le vrai du faux, elle est dâapprendre Ă rendre socialement puissantes les idĂ©es les plus utiles et cela passe par la maĂźtrise de la parole. Les sophistes enseignent donc la rhĂ©torique ou art dâargumenter en Ă©tant capables de soutenir avec autant dâhabiletĂ© une idĂ©e et le contraire de cette idĂ©e. Ils enseignent, au fond, un art de la parole dĂ©solidarisĂ© du souci de la vĂ©ritĂ© et de la valeur câest-Ă -dire une technique de pouvoir. Que la pratique sophistique du discours soit antinomique de la pratique socratique, les analyses prĂ©cĂ©dentes lâont amplement Ă©tabli. Mais alors la question est de savoir si lâon peut suivre le philosophe dans ses prĂ©supposĂ©s. Car il est bien vrai que les opinions sont souveraines parmi les hommes et que sâils parviennent parfois Ă surmonter leurs diffĂ©rends, câest moins par la vertu de lâexamen rationnel que par la soumission Ă la rĂšgle politique de la dĂ©mocratie. Celle-ci stipule en effet que lĂ oĂč les membres dâun groupe ne peuvent pas sâentendre, le conflit est tranchĂ© par le principe majoritaire. Bienheureuse institution permettant de surmonter la violence des affrontements humains par une autre voie que le recours aux armes ! Mais enfin une majoritĂ© nâest jamais quâune force et ce nest pas parce quâon est le plus fort quâon a nĂ©cessairement raison. En ce sens, la dĂ©mocratie ne fait pas sortir du rapport de force. Or quâon le veuille ou non jamais la raison ne pourra consentir Ă sâincliner sur lâautel la force. Parce quâelle est lâinstance nous permettant de nous reprĂ©senter le droit, elle aspire Ă en assurer le rĂšgne sans autre recours que ses seules ressources. VoilĂ pourquoi le philosophe est lâhomme qui en appelle Ă la raison de lâautre pour rompre avec la violence idĂ©ologique et politique. Il rĂȘve dâune citĂ© oĂč le dialogue, conduit dans le silence des passions et lâascĂšse des intĂ©rĂȘts et des dĂ©sirs, pourrait unir les hommes dans un monde commun. Car, Ă bien y rĂ©flĂ©chir, ce monde commun nâest pas un fantasme de songe-creux. La mathĂ©matique atteste sans rĂ©serve de sa possibilitĂ© dans la mesure oĂč sa vĂ©ritĂ© a une universalitĂ© et une Ă©ternitĂ© nâayant pas dâautre fondement que la nĂ©cessitĂ© rationnelle. Pourquoi la raison qui est lâinstrument de mesure commun en mathĂ©matique, ne pourrait-elle pas lâĂȘtre pour dâautres objets que les nombres ou les figures gĂ©omĂ©triques ? Certes le trĂšs rĂ©aliste Hobbes reconnaissait que si la vĂ©ritĂ© mathĂ©matique Ă©tait, comme la question du juste et de l'injuste, l'otage des passions et des intĂ©rĂȘts humains, il y a fort Ă parier que les hommes la discuteraient avec une violence et une partialitĂ© comparables Ă celles dont ils font preuve dâordinaire. Et il a raison. Si lâon sâen tient au fait, les Protagoras, les Hobbes voient juste. La lutte des intĂ©rĂȘts, la violence des oppositions, lâinstrumentalisation idĂ©ologique du raisonnement sont bien, aujourdâhui comme hier, une donnĂ©e observable. Câest absolument incontestable et pourtant cela ne signifie pas quâil faille cautionner le fait comme si ce qui est devait ĂȘtre la mesure de ce qui peut ĂȘtre et mĂȘme de ce qui doit ĂȘtre. Car rien nâautorise Ă rĂ©duire lâhomme Ă sa dimension empirique et Ă nier quâil a la possibilitĂ© de transcender les limites dans lesquelles les sophistes se plaisent Ă lâenfermer. Seule la mauvaise foi peut nous conduire Ă nier que la raison est, en nous, un pouvoir de transcendance. Comment, si ce nâĂ©tait pas le cas, aurait-on pu Ă©crire une DĂ©claration universelle des droits de lâhomme ? Nâa-t-il pas fallu pour cela rompre avec la clĂŽture ethnocentrique que tous les idolĂątres de la dĂ©termination ethnique de lâhumaine condition proclament indĂ©passable en fait et illĂ©gitime en droit? Câest le pouvoir de transcendance de la raison et lui seul qui permet Ă chaque membre dâune culture de sâarracher Ă son enracinement culturel, dâinitier un rapport critique aux valeurs et aux significations particuliĂšres Ă son groupe, dâen dĂ©noncer lâunilatĂ©ralitĂ© et de promouvoir lâidĂ©e de valeurs et de significations universalisables en droit. Le rationalisme des LumiĂšres est nĂ© sur le sol europĂ©en mais il nâest pas lâexpression de la particularitĂ© de la culture occidentale, il est lâhonneur du genre humain. De mĂȘme, câest ce pouvoir de transcendance qui permet Ă chacun, pour peu quâil en fasse lâeffort, de prendre conscience de son dĂ©sir, de sâaffranchir de sa loi afin de ne plus confondre ce qui est vrai selon la norme de lâesprit avec ce qui semble tel selon la norme des affects. Ou bien encore, câest ce pouvoir qui est en jeu dans la possibilitĂ© de tous de sâĂ©lever au-dessus de la partialitĂ© de leurs intĂ©rĂȘts, dâen dĂ©terminer les justes requĂȘtes et de se soucier de leur conciliation afin que lâintĂ©rĂȘt des uns ne soit pas le tombeau de celui des autres. Câest dire que Socrate nous demande dâenvisager la raison comme lâĂ©quivalent pour les questions de sens et valeur de lâinstrument de mesure mathĂ©matique pour les quantitĂ©s. Il nous demande de faire amitiĂ© par lâesprit et de subvertir par lĂ notre rapport Ă la vĂ©ritĂ© et aux autres. Il ne sâagit plus de se croire en possession du vrai mais de le chercher ensemble, sa pierre de touche nâĂ©tant pas les vaines prĂ©tentions des uns et des autres mais seulement lâaccord des esprits. 5 La sagesse philosophique comme alternative Ă la violence. La mission socratique se rĂ©vĂšle ici comme mission de rĂ©conciliation des hommes au sein dâune communautĂ© raisonnable. Mission utopique, dit le pessimiste. La nature passionnelle est bien plus puissante en lâhomme que sa nature rationnelle. Pire, lâidĂ©e dâune transcendance possible de lâesprit est une illusion idĂ©aliste. On nâa pas attendu les philosophies du soupçon Marx, Nietzsche, Freud pour instruire le procĂšs de la raison conçue comme instance universelle et transcendante. CâĂ©tait dĂ©jĂ le fonds de commerce de la sophistique. La crise de la raison est aussi vieille que lâĂ©mergence de son magistĂšre. On a lâimpression que la raison nâa jamais vraiment pu imposer son autoritĂ© et quâelle nâa dĂ©stabilisĂ© celle de la tradition ou de Dieu que pour livrer les sociĂ©tĂ©s Ă lâanarchie rationaliste. Le moindre forum de discussion en tĂ©moigne de maniĂšre criante. Les capacitĂ©s dâargumentation et de dĂ©monstration de lâesprit sont mobilisĂ©es Ă tout va et les idĂ©es les plus folles ne manquent pas de dĂ©fenseurs talentueux, trĂšs habiles dans lâart de leur confĂ©rer une vraisemblance. Mission difficile, rĂ©pond le philosophe, mais non mission impossible. Car ce qui rend possible un vrai dialogue entre les hommes nâest pas diffĂ©rent de ce qui rend possible lâactivitĂ© pensante. Une formation intellectuelle rigoureuse certes, dĂ©pendant de la responsabilitĂ© des sociĂ©tĂ©s, mais surtout une conversion intellectuelle et morale qui est Ă la portĂ©e de tout ĂȘtre douĂ© dâun esprit. Seules deux conditions sont requises Dâune part, un sens du problĂšme, de lâambiguĂŻtĂ© des choses et de leur complexitĂ©. Dâautre part, la conviction quâon ne peut pas avoir raison tout seul, que ce qui est fondĂ© en raison, doit ĂȘtre, en droit, reconnaissable par nâimporte quel autre ĂȘtre de raison. Aux antipodes de lâhomme qui est prisonnier du doxique, le penseur est donc lâhomme qui se met Ă distance dâun contenu de pensĂ©e, lâexamine en se faisant Ă lui-mĂȘme les objections que les autres pourraient lui faire sâils Ă©taient prĂ©sents. La pensĂ©e procĂšde, Ă lâinstar de la discussion avec lâautre, par questions et rĂ©ponses dans une dĂ©marche dont lâenjeu est de surmonter une difficultĂ© thĂ©orique. Car sâil nây avait pas de problĂšme initial, si tout Ă©tait clair Ă lâesprit humain au point dâĂȘtre tous dâaccord, il nây aurait pas besoin de faire la lumiĂšre. La pensĂ©e est donc dialogique par essence parce qu'elle est aux prises avec le problĂ©matique. VoilĂ pourquoi Platon dit que la pensĂ©e est un dialogue de lâĂąme avec elle-mĂȘme. Cf. La pensĂ©e est un discours que lâĂąme se tient Ă elle-mĂȘme sur les objets quâelle examineâŠIl me paraĂźt que lâĂąme, quand elle pense, ne fait pas autre chose que sâentretenir avec elle-mĂȘme, interrogeant et rĂ©pondant, affirmant et niant », ThéétĂšte, 190a. Hannah Arendt, de mĂȘme, pointe ce lien de la pensĂ©e et du dialogue en soulignant que pour penser il faut ĂȘtre plusieurs en un. Toute pensĂ©e, Ă proprement parler, sâĂ©labore dans la solitude, est un dialogue entre moi et moi-mĂȘme, mais ce dialogue de deux-en-un ne perd pas le contact avec le monde de mes semblables ceux-ci sont en effet reprĂ©sentĂ©s dans le moi avec lequel je mĂšne le dialogue de la pensĂ©e » Le systĂšme totalitaire, III, Points Seuil, 1972, p. 228. Et Kant rappelle que lâĂ©thique de la pensĂ©e implique trois maximes directrices 1 Penser par soi-mĂȘme ou maxime de la pensĂ©e sans prĂ©jugĂ©s, 2 Penser en se mettant Ă la place de tout autre ou maxime de la pensĂ©e Ă©largie, 3 Penser en Ă©tant toujours en accord avec soi-mĂȘme ou maxime de la pensĂ©e consĂ©quente. La deuxiĂšme maxime est particuliĂšrement significative. LâĂ©troitesse dâesprit est le propre de celui qui ne parvient pas Ă se libĂ©rer de ses ĆillĂšres parce quâil est incapable de sâouvrir Ă lâaltĂ©ritĂ©. LâunilatĂ©ralitĂ© de son regard, la dĂ©terminitĂ© de sa situation le condamnent Ă sâenfermer dans une sorte de mythologie personnelle ou communautaire. Il manque de la plus Ă©lĂ©mentaire sagesse consistant Ă sâassurer de la rectitude de son propre entendement, par le dĂ©tour de lâentendement des autres ou le point de vue de lâuniversel. Il sâensuit que la mĂ©thode de la pensĂ©e est la dialectique ou lâart du dialogue Ă©levĂ© Ă la dignitĂ© dâun procĂ©dĂ© de rĂ©flexion. Une question appelle des rĂ©ponses que lâexamen conduit Ă problĂ©matiser patiemment jusquâau point oĂč, ayant sĂ©parĂ© le bon grain de lâivraie, on peut sâentendre sur des vĂ©ritĂ©s communes. Moment toujours Ă©mouvant que celui oĂč lâon fait lâexpĂ©rience de la transcendance de la vĂ©ritĂ© ou de la raison. Elle est la rĂ©vĂ©lation dâun nous » en lieu et place de toi » et de moi ». St Augustin a dit cela merveilleusement Quand nous voyons l'un et l'autre que ce que tu dis est vrai, quand nous voyons l'un et l'autre que ce que je dis est vrai, oĂč le voyons-nous, je te le demande ? AssurĂ©ment ce n'est pas en toi que je le vois, ce n'est pas en moi que tu le vois. Nous le voyons l'un et l'autre dans l'immuable vĂ©ritĂ© qui est au-dessus de nos intelligences ». Les Confessions, XII, XXV, 35, PlĂ©iade I, p. 1079. Les rĂ©ussites de la rĂ©flexivitĂ© ou rĂ©gression dialectique ne doivent pas nĂ©anmoins faire oublier ses demi-Ă©checs. Il arrive en effet quâelle dĂ©bouche sur des apories, câest-Ă -dire sur des impasses thĂ©oriques comme on le voit dans les dialogues de Platon que nous appelons socratiques ». Plus fidĂšles Ă la pratique du MaĂźtre que dâautres, ils sont des dialogues aporĂ©tiques. Loin dâaboutir Ă une conclusion positive, ils confrontent lâesprit Ă sa propre impuissance. Ce qui n'est pas une moindre connaissance qu'une autre car, comme l'Ă©crit Descartes, si l'on dĂ©couvre que la connaissance cherchĂ©e dĂ©passe entiĂšrement la portĂ©e de l'esprit humain, [on] ne s'en jugera pas pour autant plus ignorant, puisque ce n'est pas une moindre science de savoir cela que de savoir quoi que ce soit d'autre». RĂšgle VIII des RĂšgles pour la direction de l'esprit. Reste que par la dimension aporĂ©tique de son discours, Socrate est plus modeste que son disciple Platon. Pour celui-ci, la dialectique est la mĂ©thode de la science, le moyen de sâĂ©lever des connaissances sensibles ou doxiques aux IdĂ©es ou intelligibles purs que lâĂąme peut saisir intuitivement au terme de lâascension dialectique. LâexpĂ©rience invite Ă moins de prĂ©tentions. Si la rĂ©flexion permet de rompre avec le dogmatisme de lâopinion, ce nâest pas pour lui substituer un dogmatisme philosophique. Certes les grandes philosophies dĂ©ploient des possibles de la raison dans de majestueux Ă©difices donnant la mesure de la puissance intellectuelle de certains esprits. Mais chaque penseur recommence toujours lâaventure mĂȘme sâil est vrai quâaucun ne part de zĂ©ro et ne peut se permettre de penser Ă la suite de tel monument de la philosophie comme on le faisait avant. Reste quâil nây pas de savoir absolu en philosophie. Ce qui nâest pas une maniĂšre de cautionner le scepticisme. Le philosophe est comme le savant. Câest un douteur mais comme Claude Bernard disait que le savant doute de tout sauf de la science, le philosophe doute de tout sauf des vertus de lâexamen pour Ă©clairer le jugement et fonder des vĂ©ritĂ©s raisonnables. En disant vĂ©ritĂ© raisonnable, on ne dit pas vĂ©ritĂ© indiscutable. Il faudrait pour cela que la dĂ©marche rationnelle pĂ»t se fonder elle-mĂȘme ou que le tĂ©moignage que la raison se rend Ă elle-mĂȘme au terme de lâexamen fĂ»t lâaffaire de tous. Or la dĂ©marche philosophique pas plus dâailleurs que la mĂ©thode scientifique ne peut se prĂ©valoir dâune telle assurance. Lâune et lâautre reposent sur un irrationnel de fondement consistant Ă faire de la raison la seule mesure en matiĂšre de vĂ©ritĂ©. Mais impossible de dĂ©montrer la validitĂ© de ce prĂ©supposĂ© car toute dĂ©monstration suppose ce qui est Ă dĂ©montrer Ă savoir que le respect des principes logiques et des principes rationnels est nĂ©cessaire pour assurer la rectitude de la pensĂ©e. En tĂ©moigne lâimpuissance du philosophe rationaliste Ă convaincre, celui qui disqualifie la raison dans cette prĂ©tention et considĂšre que seule la soumission Ă une autoritĂ© divine est une voie de salut. En ce sens, lâantinomie des voies ouvertes par AthĂšnes et par JĂ©rusalem est irrĂ©ductible. Et la pluralitĂ© humaine en suppose bien dâautres, portant sur les questions de sens, de justice, de bien et de mal, dâutile et de nuisible. Pour Ă©lucider une question, plusieurs principes peuvent parfois ĂȘtre formulĂ©s, chacun ayant sa lĂ©gitimitĂ©. Par exemple, on peut soutenir quâune rĂ©partition sociale juste des honneurs, des pouvoirs et des richesses est une rĂ©partition Ă©galitaire, ce principe Ă©tant fondĂ© sur lâidĂ©e que les hommes sont Ă©gaux en dignitĂ©, quels que soient leurs talents et leur mĂ©rite. Mais on peut aussi considĂ©rer quâil est injuste de traiter Ă©galement des ĂȘtres inĂ©gaux en talents et en mĂ©rite et donc quâil revient de rendre Ă chacun ce quâil mĂ©rite. Est-il possible de surmonter le diffĂ©rend entre les partisans dâun ordre social Ă©galitariste et un autre hiĂ©rarchique ? Rationnellement non. On est en prĂ©sence ici dâun indĂ©cidable rationnellement parlant puisquâon ne peut pas dĂ©montrer quâun principe est plus rationnel que lâautre. Les deux ont leur lĂ©gitimitĂ© du point de vue de lâesprit. Mais raisonnablement, on peut comprendre que cette Ă©gale lĂ©gitimitĂ© fonde lâobligation de faire droit Ă leurs requĂȘtes en sâefforçant de les concilier. Le principe Ă©galitaire exige de confĂ©rer Ă tous les membres dâun groupe les mĂȘmes droits et devoirs de base. Tous les citoyens sont Ă©gaux en droits. Une voix vaut une voix. Chacun peut Ă©galement Ă tout autre prĂ©tendre au respect des libertĂ©s fondamentales expression, pensĂ©e, circulation, protection etc. Le principe hiĂ©rarchique invite Ă ne pas se limiter Ă une dĂ©finition abstraite de lâĂȘtre humain et Ă tenir compte des caractĂ©ristiques concrĂštes des uns et des autres. Dans toutes les activitĂ©s certains sont plus efficaces socialement que dâautres, plus talentueux. Ce serait leur faire injustice que de ne pas proportionner les biens aux talents et aux mĂ©rites pour autant que ceux-ci ne dĂ©pendent que de la responsabilitĂ© des personnes, ce qui suppose de se prĂ©occuper de rĂ©aliser socialement lâĂ©galitĂ© des chances. On pourrait dĂ©velopper le mĂȘme raisonnement Ă propos de lâantinomie du principe de libertĂ© et du principe dâĂ©galitĂ© ou bien Ă propos du dĂ©bat actuel sur lâouverture du mariage aux homosexuels. Ces exemples suggĂšrent que les problĂšmes sont complexes et que la faute consiste toujours Ă sâenfermer dans une position unilatĂ©rale. Ce qui est le risque de celui qui sâen tient Ă un usage strictement formel de la raison. DĂšs lors que celle-ci ne veut pas sortir de lâĂ©vidence du principe quâelle a posĂ© et de la rigueur des dĂ©ductions rationnelles qui en dĂ©coulent, elle devient sourde Ă lâambiguĂŻtĂ© des choses, aux contraintes du rĂ©el, Ă la pluralitĂ© humaine, et plus fondamentalement Ă lâexigence morale. Il sâensuit que le souci dâĂȘtre rationnel ne doit pas nous dispenser de nous efforcer dâĂȘtre raisonnables. Et il faut sans doute suivre Gabriel Marcel lorsquâil dit que L'homme raisonnable est peut-ĂȘtre avant tout et fondamentalement celui qui perçoit les limites de la raison ». Le dĂ©clin de la sagesse, page 89. VoilĂ pourquoi la sagesse philosophique exige le sens de la mesure et le refus de toute forme dâintĂ©grisme rationnel. Elle implique une sorte de rĂ©vĂ©lation, qui est davantage assignation Ă une tĂąche critique quâĂ des certitudes dogmatiques, fussent-elles fondĂ©es rationnellement. En ce sens Russell rend justice Ă la philosophie lorsquâil dit que sa valeur rĂ©side dans son incertitude mĂȘme. Incertitude, rappelons-le, sur ses rĂ©sultats, non sur sa fonction libĂ©ratrice de la bassesse et de la bĂȘtise et sur sa capacitĂ© de faire exister une communautĂ© dâĂȘtres raisonnables unis par la conscience de la sagesse qui leur manque et par la volontĂ© dâen honorer ensemble les exigences. B La sagesse comme idĂ©al pratique. Si cette partie faisait lâobjet dâun approfondissement comparable Ă celui de la partie prĂ©cĂ©dente, cette prĂ©sentation de la nature de lâintentionnalitĂ© philosophique risquerait dâĂȘtre indigeste. Je me contenterai donc de quelques remarques succinctes. On a compris que le philosophe est lâhomme se sentant tenu dâhonorer les exigences de lâesprit en tant quâil est pour lui le fondement de la dignitĂ© humaine et une instance universelle et transcendante Ă la hauteur de laquelle il doit se porter. Or vivre, ce nâest pas seulement penser, connaĂźtre, juger, câest aussi agir, se projeter dâune certaine maniĂšre dans le monde, tendre vers des fins dont nous espĂ©rons le bonheur. Il sâensuit que, comme la sagesse thĂ©orique est la vertu de lâesprit dans ses opĂ©rations intellectuelles et ses prĂ©tentions Ă la connaissance, la sagesse pratique est celle de lâhomme dans la conduite de sa vie. Dans les deux cas, il sâagit de se souvenir que nous sommes un ĂȘtre douĂ© de raison et que cela fonde des obligations. La morale consiste Ă se savoir esprit et, Ă ce titre, obligĂ© absolument car noblesse oblige » affirme Alain, dans la SeptiĂšme lettre sur Kant. Dans ses exhortations Ă ses concitoyens, Socrate ne dit pas autre chose. Avoir le souci de son Ăąme, voilĂ ce qui devrait ĂȘtre la grande affaire de lâhomme. Je nâai pas en effet dâautre but, en allant par les rues que de vous persuader, jeunes et vieux, quâil ne faut pas donner le pas au corps et aux richesses et sâen occuper avec autant dâardeur que du perfectionnement de son Ăąme. Je vous rĂ©pĂšte que ce ne sont pas les richesses qui donnent la vertu, mais que câest de la vertu que proviennent les richesses et tout ce qui est avantageux, soit aux particuliers, soit Ă lâEtat » Apologie de Socrate, 30b. Il ne faut pas dĂ©chiffrer ce propos comme une invitation Ă lâascĂ©tisme. Les besoins de notre nature animale ont leur lĂ©gitimitĂ©, lâaisance matĂ©rielle aussi mais ils ne doivent pas constituer lâhorizon de la vie au point de leur sacrifier les exigences spirituelles et morales et de compromettre les biens supĂ©rieurs de lâexistence humaine que sont la libertĂ©, le bonheur et la moralitĂ©. Le propos socratique nâa donc pas dâautre vocation que dâinciter chacun Ă mettre de lâordre dans son ĂȘtre et son action afin de dessiner en soi et hors de soi le visage de lâhumaine nature dans ce qui fait sa supĂ©rioritĂ© ontologique. Pas plus quâil nâest nĂ© pour se complaire dans lâignorance et la minoritĂ© intellectuelle, lâhomme nâest fait pour subir une autre loi que celle quâil peut se donner par sa raison. Il lui faut donc sâaffranchir de la servitude de sa nature sensible, pour libĂ©rer conjointement lâexercice de son esprit des aveuglements passionnels et sa façon dâĂȘtre de lâĂ©cueil de la violence et de lâindignitĂ©. Par lĂ on comprend que la sagesse thĂ©orique et la sagesse pratique sont interdĂ©pendantes. Lâune ne va pas sans lâautre, lâerreur et la faute procĂ©dant toujours de la subversion de lâexigence raisonnable par une autre loi que la sienne quâil sâagisse de celle des dĂ©sirs, des passions ou des intĂ©rĂȘts. Ce souci de donner une expression raisonnable Ă la part irrationnelle de sa nature est le propre de lâamoureux de la sagesse. Il expĂ©rimente que câest lĂ sa tĂąche. Les Grecs disent son ergon. Pour eux, chaque ĂȘtre de la nature a une fonction quâil est le seul Ă pouvoir remplir et ils appellent vertueux celui qui lâaccomplit dans son excellence. Ainsi comme la vertu de lâĆil est de bien voir, la vertu de lâhomme est de dĂ©ployer sa facultĂ© raisonnable dans son excellence sous la forme des vertus intellectuelles et des vertus morales. Les unes et les autres supposent le courage de sauver dans toutes les occurrences de la vie les valeurs de lâesprit la vĂ©ritĂ© sur le plan thĂ©orique, le meilleur et le juste sur le plan pratique. Et il est aussi difficile de se conduire avec le sens de la justice, quâil lâest de penser avec justesse. Car nul nâest immĂ©diatement enclin Ă mettre un point dâarrĂȘt Ă lâexpansion de sa propre existence pour reconnaĂźtre lâĂ©gal droit des autres Ă exister. Nul, non plus, ne comprend spontanĂ©ment que livrĂ© Ă son dynamisme aveugle, le dĂ©sir ignore la loi du rĂ©el, veut tout soumettre Ă son caprice et condamne plus sĂ»rement au malheur quâau bonheur. La rĂ©flexion, seule, libĂšre de cette folie » et rend possible une vie bonne et heureuse Bonne, câest-Ă -dire soucieuse de ne pas avoir Ă rougir dâelle-mĂȘme. La morale est dâabord un rapport Ă soi avant dâĂȘtre un rapport aux autres. Il sâagit de vivre en bonne compagnie avec soi-mĂȘme, dâĂȘtre en accord avec le juge intĂ©rieur, celui qui incarne le point de vue de lâuniversel et qui toujours demande peux-tu universaliser le principe de ton action ? », peux-tu vouloir que tous les hommes agissent comme tu le fais ? ». On reconnaĂźt lĂ , lâimpĂ©ratif catĂ©gorique tel que Kant lâĂ©nonce mais le philosophe de Koenisberg ne fait quâexpliciter lâexpĂ©rience commune. Celle-ci est celle dâun ĂȘtre ayant Ă vivre avec le tĂ©moin intĂ©rieur que chacun porte en soi. Peu importe la maniĂšre dont on thĂ©orise cette dualitĂ©, dualisme du sensible et de lâintelligible selon Platon ou Descartes, dualisme de la nature et de la libertĂ©, du phĂ©nomĂ©nal et du noumĂ©nal selon Kant, lâessentiel est de comprendre quâon ne peut pas vivre en paix dans la contradiction intĂ©rieure et le mĂ©pris de soi-mĂȘme. VoilĂ pourquoi, Hannah Arendt lie toujours le prĂ©cepte socratique Commettre lâinjustice est pire que la subir, et jâaimerais mieux quant Ă moi la subir que la commettre » Gorgias, 469c Ă cette autre affirmation Mieux vaudrait me servir dâune lyre dissonante et mal accordĂ©e, diriger un chĆur mal rĂ©glĂ©, ou me trouver en dĂ©saccord ou en opposition avec tout le monde, que lâĂȘtre avec moi-mĂȘme, Ă©tant un et de me contredire » Gorgias, 482bc. Si un monde de scĂ©lĂ©rats est une offense Ă lâhumanitĂ© câest donc dâabord parce que nul ĂȘtre raisonnable ne veut ĂȘtre en guerre, pas plus avec lui-mĂȘme quâavec les autres, lâimportant Ă©tant dâĂȘtre bien convaincu que câest la paix morale qui conditionne la paix sociale et non lâinverse. Personne en effet nâa rien Ă craindre de lâhomme sâefforçant dâĂȘtre sage car, ainsi que lâaffirme Socrate, câest de la vertu que proviennent les richesses et tout ce qui est avantageux, soit aux particuliers, soit Ă lâEtat ». Heureuse, câest-Ă -dire soucieuse dâaccorder son dĂ©sir et le rĂ©el. Le bonheur dâexister ne va pas sans tempĂ©rance. Celui qui ne sait pas assagir son dĂ©sir en lâaffranchissant des dĂ©lires de lâimagination et de sa tendance Ă sâillimiter, celui qui ne sait pas lâorienter dans le sens de ce qui rĂ©jouit plutĂŽt que de ce qui attriste livre son existence aux affres de lâinsatisfaction permanente, rançon de la dĂ©mesure et du manque de luciditĂ©. Il est donc juste de dire, et lâexpĂ©rience philosophique en tĂ©moigne chaque jour en la personne du philosophe, que la sagesse est la mĂ©thode de la vie bonne et heureuse. Mais la conclusion doit rappeler le message de lâintroduction. Le philosophe nâest pas le sage. Il nâappartient pas aux hommes de jouir de la plĂ©nitude et de la fĂ©licitĂ© des dieux, seulement de tendre vers elles. - - - NB Dans son souci dâĂ©lucidation des questions quâil affronte, le philosophe utilise ou crĂ©e des concepts quâil emploie dans un sens Ă©purĂ© des confusions de la langue commune. Il importe de sâapproprier avec rigueur les concepts philosophiques. Cette prĂ©sentation de la philosophie suppose la maĂźtrise des concepts suivants - Opinion ou doxa. - IdĂ©ologie â science â philosophie. - ActivitĂ© libĂ©rale â activitĂ© utilitaire. - Logos â mythe. - PensĂ©e sophistique â pensĂ©e philosophique. - Rationnel â raisonnable. - Dogmatisme â scepticisme â rationalisme critique. - Vertu. NB Ces concepts font l'objet d'analyses sur ce blog. Il suffit d'utiliser l'index pour les retrouver. 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EPlK. e7luc1s0p7.pages.dev/246e7luc1s0p7.pages.dev/279e7luc1s0p7.pages.dev/421e7luc1s0p7.pages.dev/569e7luc1s0p7.pages.dev/173e7luc1s0p7.pages.dev/409e7luc1s0p7.pages.dev/146e7luc1s0p7.pages.dev/81
la vraie science est une ignorance qui se sait